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Débats du Sénat (Hansard)

1re Session, 44e Législature
Volume 153, Numéro 41

Le mardi 10 mai 2022
L’honorable Pierrette Ringuette, Présidente intérimaire


LE SÉNAT

Le mardi 10 mai 2022

La séance est ouverte à 14 heures, la Présidente intérimaire étant au fauteuil.

Prière.


[Traduction]

DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS

La cérémonie devant le Monument commémoratif de la police de l’Ontario

L’honorable Gwen Boniface : Honorables sénateurs, j’interviens aujourd’hui pour rendre hommage aux policiers ontariens morts dans l’exercice de leurs fonctions. La cérémonie devant le Monument commémoratif de la police de l’Ontario s’est tenue le dimanche 1er mai à Queen’s Park. Cette cérémonie annuelle permet d’honorer la vie des policiers qui ont fait le sacrifice ultime. Chaque année, j’interviens dans cette enceinte pour participer à cet hommage.

Aujourd’hui, je souhaite prendre un moment pour rappeler trois agents qui ont été tués alors qu’ils n’étaient pas en service, simplement parce qu’ils étaient policiers.

En novembre 1984, à Matheson, dans le Nord de l’Ontario, un tireur a abattu l’agent Vernon Miller en lui tirant dans le dos alors que celui-ci était au restaurant à l’heure de la pause du midi. Ce policier, qui comptait 17 années de service au sein de la Police provinciale de l’Ontario, avait 38 ans. Les gens gardent de lui le souvenir d’une personne amicale qui s’efforçait toujours de voir le bon côté de ses semblables. Il incarnait parfaitement l’image de la police communautaire. Il a laissé dans le deuil son épouse, ses trois enfants et une collectivité atterrée qui ne l’a jamais oublié. Un aréna de hockey local porte aujourd’hui son nom.

Le caporal William F. McIntyre en était à sa 12e année de service lorsqu’il a été tué dans sa demeure le 21 avril 1984. M. McIntyre s’est joint à la Police provinciale de l’Ontario en 1972 et a travaillé dans cinq détachements avant de passer au travail d’infiltration. Il était l’un des meilleurs policiers dans ce type de travail policier difficile et dangereux. Je dois aussi ajouter qu’il était une personne charmante. Il n’avait que 33 ans. On pense que sa mort est liée à son travail d’infiltration. Son affaire n’a jamais été résolue.

Le 31 mai 1997, l’agent Thomas Coffin a été tué par un homme qu’il avait arrêté pour conduite avec facultés affaiblies quelques semaines plus tôt. Il a été tombé dans une embuscade dans un bar local alors qu’il n’était pas en service. L’agent Coffin était un athlète passionné et il était entraîneur du club de hockey junior C, les Penetang Kings. Ses jeunes joueurs étaient dévastés. Au moment de son décès, Tom n’avait que 32 ans. Il a laissé dans le deuil trois jeunes enfants. Un parc dans la belle ville de Penetanguishene porte son nom.

Chers collègues, les dangers auxquels s’expose un policier ne disparaissent malheureusement pas lorsqu’il termine son quart de travail. Les menaces qui pèsent sur ceux qui nous servent et nous protègent ne se limitent pas aux heures où ils sont en service. Vernon Miller, Bill McIntyre et Thomas Coffin ont payé le prix ultime en tant que policiers. Ce fut des événements dévastateurs pour tous ceux d’entre nous qui ont servi avec eux.

Aujourd’hui, je vous demande de vous souvenir d’eux, des membres de leur famille qui ont dû continuer sans eux et des communautés qui restent profondément affectées par ces meurtres.

Merci. Meegwetch.

Des voix : Bravo!

Visiteurs à la tribune

Son Honneur la Présidente intérimaire : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune d’invités de l’Université Queen’s : Mark Green, doyen et vice-recteur (académique), Kanonhsyonne Janice Hill, vice-rectrice associée, Initiatives autochtones et réconciliation, et Craig Leroux, directeur, Relations avec les gouvernements et les entreprises. Ils sont les invités de l’honorable sénateur Harder.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

L’Université Queen’s

L’honorable Peter Harder : Honorables sénateurs, j’ai le grand plaisir d’accueillir aujourd’hui au Sénat des représentants de l’Université Queen’s.

Queen’s est une université de premier plan qui compte plus de 27 000 étudiants de partout au Canada et de 126 pays dans le monde. Je suis heureux de faire partie, avec les sénateurs Moodie, Lankin et Black, de son réseau mondial, qui regroupe plus de 150 000 anciens étudiants.

À titre de l’un des principaux établissements de recherche du Canada, l’Université Queen’s produit des diplômés hautement qualifiés dans un éventail de professions et de disciplines et elle est une cheffe de file en matière de recherche révolutionnaire. Cela comprend notamment les travaux de recherche de la professeure Cathleen Crudden, soutenus par une subvention de 24 millions de dollars au titre du Fonds Nouvelles frontières en recherche, qui permettent de concevoir de nouveaux revêtements qui pourraient empêcher les ponts de rouiller ou qui pourraient révolutionner les instruments médicaux utilisés dans la lutte contre le cancer.

(1410)

Comme mes collègues le savent, le Groupe d’action sénatorial pour la prospérité a récemment publié son rapport sur la prospérité durable et inclusive. Je peux vous dire que l’Université Queen’s personnifie la capacité des universités canadiennes de Relever le défi des nouvelles réalités mondiales. En fait, il y a deux semaines, l’Université Queen’s s’est classée septième au monde parmi 1 500 établissements pour son impact global dans la promotion des objectifs de développement durable des Nations unies, selon le classement du site Times Higher Education. C’est la deuxième année de suite que l’Université Queen’s figure parmi les 10 meilleures universités au monde.

J’invite tous les sénateurs à se joindre à nous ce soir à l’occasion de la réception officielle en l’honneur de l’Université Queen’s qui aura lieu à compter de 17 h 30 à la brasserie Métropolitain. Nous souhaitons une fois de plus la bienvenue aux membres de l’Université Queen’s et espérons qu’ils passeront une journée fructueuse sur la Colline.

Visiteur à la tribune

Son Honneur la Présidente intérimaire : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de Joe Dietrich. Il est l’invité de l’honorable sénateur Black.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

Le programme Green Legacy

L’honorable Robert Black : Honorables sénateurs, j’aimerais attirer votre attention sur le programme Green Legacy, un programme visant à enrichir le patrimoine vert du comté de Wellington.

Ce programme est né en 2004 de l’idée de planter 150 000 arbres au sein de ma communauté pour célébrer le 150e anniversaire du comté de Wellington. Je suis fier de vous dire que cette initiative est devenue le plus grand programme municipal de plantation d’arbres en Amérique du Nord. Je participe moi-même à ce programme depuis sa création, ce qui m’a permis de planter des milliers d’arbres sur ma propriété. À titre d’exemple, j’ai planté 250 arbres à ce jour cette année et je terminerai ma contribution annuelle avec environ 25 arbres de plus le week-end prochain. Si vous voulez voir des photos des activités liées au programme, je vous encourage à consulter mes comptes de médias sociaux.

Aujourd’hui, je tiens à féliciter les administrateurs du comté de Wellington, car le programme Green Legacy a atteint le jalon incroyable de 3 millions d’arbres distribués, gratuitement, aux habitants et aux groupes communautaires du comté depuis la première année, il y a 18 ans. En misant sur l’éducation et la participation au programme, la population du comté de Wellington a contribué à augmenter le couvert forestier de la région de manière à créer une infrastructure verte qui entraîne des bienfaits sur la santé. De plus, tous ces arbres ont une incidence bénéfique durable sur l’environnement et la capacité d’adaptation du Canada aux changements climatiques.

En outre, ce programme a attiré l’attention de l’Organisation des Nations unies, qui a reconnu en 2010 qu’il s’inscrivait dans la Campagne pour un milliard d’arbres en raison de son impact sur la lutte contre les changements climatiques.

Je prends maintenant un instant pour remercier l’équipe à qui l’on doit ce programme, y compris les conseillers du comté qui y affectent des fonds chaque année. Je félicite donc Rob Johnson, gestionnaire de programme, et ses employés, ainsi que les nombreux bénévoles qui emballent des arbres pendant l’hiver en vue de la distribution qui aura lieu à la pépinière Bradford Whitcombe Green Legacy de Puslinch, en Ontario, et à la pépinière Northern Green Legacy de Damascus, aussi en Ontario. Les efforts qu’ils déploient pour rendre le comté de Wellington plus vert donnent vraiment des résultats.

Nous avons la chance, au Canada, d’avoir un couvert forestier robuste non seulement dans les communautés rurales, mais aussi dans les villes et villages du pays. En plus d’être une source d’ombre et de beauté, les arbres améliorent la qualité de l’eau, du sol et de l’air. Ils favorisent la conservation des ressources naturelles et la croissance des habitats fauniques. Selon Ressources naturelles Canada, nos forêts atténuent déjà les changements climatiques, puisqu’elles ont absorbé environ un quart du carbone produit par des activités humaines comme la combustion de combustibles fossiles et les changements apportés à l’utilisation des terres depuis quatre décennies.

Honorables collègues, selon un proverbe chinois bien connu, « le meilleur moment pour planter un arbre, c’était il y a 20 ans; le deuxième meilleur moment, c’est maintenant ». Comme nous le savons, l’environnement demeure un enjeu important sur les plans politique, social et économique, et il concerne tous les ordres de gouvernement. Planter des arbres offre une façon facile et efficace d’améliorer l’environnement d’un océan à l’autre.

Je vous signale que, pendant la fin de semaine, j’ai planté un arbre pour chacun d’entre vous; j’ai planté 89 arbres samedi. Si vous me rendez visite, je vous montrerai votre arbre avec plaisir. Je vous en parle pour vous encourager à prendre le temps de planter un ou plusieurs arbres, que ce soit dans le cadre d’un programme municipal tel que Green Legacy ou par vous-mêmes. Nous pouvons tous faire notre part pour lutter contre les changements climatiques.

Merci, meegwetch.

Visiteur à la tribune

Son Honneur la Présidente intérimaire : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune d’Yifeng Wei, professeure adjointe au Département de psychiatrie de l’Université de l’Alberta. Elle est l’invitée de l’honorable sénateur Kutcher.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

La santé mentale

L’honorable Stan Kutcher : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour faire suite aux commentaires judicieux de nos collègues, les sénateurs Marshall et Boehm, la semaine dernière, qui ont attiré notre attention sur la Semaine de la santé mentale et sur l’excellent travail accompli par le Comité consultatif du Sénat sur la santé mentale.

J’aimerais également souligner le travail effectué la semaine dernière par le sénateur Ravalia dans le cadre de la série Web sur la santé mentale dans les soins primaires. Il y a certes beaucoup à faire afin d’améliorer les résultats pour les Canadiens qui vivent avec des problèmes de santé mentale et d’aborder de nombreux sujets de préoccupation. Devant un défi aussi important, on peut se sentir dépassé et le premier réflexe peut être de tout laisser tomber. Lorsque je me sens ainsi, je me rappelle l’histoire biblique de David et Goliath.

À la vue du gros géant, l’armée israélienne a pensé : « Quel gros géant! Nous ne pouvons pas gagner. » Et ils se sont enfuis. David s’est dit : « Quelle cible énorme. Impossible de la rater. » Et il avait raison. Il en va de même pour le défi que représente la santé mentale et la maladie mentale. C’est une cible tellement énorme que nous ne pouvons pas la manquer. Mais il faut nous concentrer. David n’a pas lancé des centaines de projectiles inefficaces sur Goliath, en espérant que l’un d’eux fasse mouche. Il en a lancé une de manière précise et efficace, et c’est ce que nous devons faire.

À mon avis, la clé pour améliorer la santé mentale des Canadiens et le traitement des maladies mentales passe par la littératie dans ce domaine. Le Guide sur la santé mentale pour les parlementaires et le personnel en est un exemple. La semaine dernière, votre bureau devrait en avoir reçu des exemplaires dans les deux langues officielles. J’espère que vous prendrez le temps de le lire et que vous encouragerez votre personnel à faire de même et à diffuser cette ressource.

Aujourd’hui, je salue une équipe de chercheurs, d’éducateurs et de cliniciens canadiens qui sont des chefs de file nationaux et internationaux dans le domaine de la littératie en santé mentale. Leur travail consiste principalement à améliorer l’ensemble des connaissances en santé mentale des élèves et des étudiants dans les écoles primaires, intermédiaires et secondaires ainsi que dans les établissements postsecondaires. Il y a également un projet collaboratif qui créera des interventions en milieu scolaire pour les jeunes Autochtones. Leur travail comprend aussi un programme de formation des enseignants certifié qui peut être utilisé partout au Canada lors de la formation des enseignants ou à titre de perfectionnement professionnel pour ceux-ci. Ces travaux s’appuient sur des recherches approfondies et robustes réalisées au Canada, mais aussi dans plusieurs autres pays autour du monde.

Parmi ces leaders innovants, on compte la Dre Yifeng Wei, de l’Université de l’Alberta, M. Andrew Baxter, des services de santé de l’Alberta, et Mme Wendy Carr, de la Faculté d’éducation de l’Université de la Colombie-Britannique. Avec leurs collaborateurs partout au pays, ces personnes travaillent fort pour créer, mettre en œuvre et faire rayonner ces ressources en santé mentale.

Veuillez vous joindre à moi pour les féliciter pour leur bon travail et pour les encourager à reconnaître, comme David l’a bien vu, que le défi est immense, mais qu’ils ne peuvent pas rater leur cible. Merci. Wela’lioq.

[Français]

La Semaine nationale des soins infirmiers

L’honorable Marie-Françoise Mégie : Honorables sénateurs, dans le cadre de la Semaine nationale des soins infirmiers, saluons le courage et la détermination des infirmières et infirmiers et le rôle important qu’ils jouent pour favoriser la santé et le bien-être des gens au Canada et dans le monde entier.

Le thème de cette année, #Nousrépondonsàl’appel, vise à reconnaître leurs efforts quotidiens. Ces personnes travaillent sans relâche dans les hôpitaux, les centres de soins de longue durée et les établissements de santé publique du Canada pour assurer la sécurité de notre population. Au cours des deux dernières années, en première ligne de la pandémie, elles ont travaillé de longues heures, ont risqué leur santé et ont été confrontées à l’épuisement physique et mental.

Bon nombre travaillent dans les coulisses, notamment dans la recherche de contacts, l’élaboration de politiques et pour trouver des solutions aux problèmes de santé publique. Chaque jour, le personnel infirmier continue de prendre soin des personnes les plus vulnérables de notre société, d’administrer des vaccins et des doses de rappel, et de travailler fort pour nous protéger.

Le gouvernement a annoncé récemment le lancement d’un processus pour la nomination d’un infirmier en chef du Canada, qui veillera à ce que les voix et les perspectives des infirmières et infirmiers soient entendues. Saluons cette initiative.

Chers collègues, alors que nous soulignons la Semaine nationale des soins infirmiers, joignez-vous à moi pour rendre hommage aux infirmières et aux infirmiers de notre pays. Je vous remercie.

Des voix : Bravo!

(1420)

[Traduction]

Visiteurs à la tribune

Son Honneur la Présidente intérimaire : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de scientifiques qui participent au programme La science rencontre le Parlement.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

Son Honneur la Présidente intérimaire : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de Son Excellence Andreas Norlén, Président du Parlement du Royaume de Suède, et de sa délégation.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!


[Français]

AFFAIRES COURANTES

La Commission des débats des chefs

Dépôt du Rapport sur les résultats ministériels de 2019-2020

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le Rapport sur les résultats ministériels de la Commission des débats des chefs de 2019-2020.

[Traduction]

Projet de loi concernant la modernisation de la réglementation

Dépôt du deuxième rapport du Comité des pêches et des océans

L’honorable Fabian Manning : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le deuxième rapport du Comité sénatorial permanent des pêches et des océans, qui porte sur la teneur des éléments de la partie 7 du projet de loi S-6, Loi concernant la modernisation de la réglementation.

Pêches et océans

Préavis de motion tendant à autoriser le comité à déposer le rapport sur la mise en œuvre des pêches fondées sur les droits autochtones auprès du greffier pendant l’ajournement du Sénat

L’honorable Fabian Manning : Honorables sénateurs, je donne préavis que, à la prochaine séance du Sénat, je proposerai :

Que le Comité sénatorial permanent des pêches et des océans soit autorisé, nonobstant les pratiques habituelles, à déposer auprès du greffier du Sénat, au plus tard le 16 septembre 2022, un rapport portant sur son étude sur les pêches fondées sur les droits autochtones, si le Sénat ne siège pas à ce moment-là, et que ledit rapport soit réputé avoir été déposé au Sénat.


PÉRIODE DES QUESTIONS

La justice

L’aide médicale à mourir

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Honorables sénateurs, ma question d’aujourd’hui s’adresse au leader du gouvernement au Sénat.

Monsieur le leader, en avril, CTV News a révélé ceci:

Une Ontarienne de 51 ans souffrant d’une grave sensibilité aux produits chimiques a choisi de demander l’aide médicale à mourir après avoir désespérément tenté, en vain, de trouver un logement abordable exempt de fumée de cigarette et de produits de nettoyage chimiques [...]

CTV a aussi révélé, le mois dernier, qu’une femme de 61 ans souffrant de problèmes de santé mentale et physique depuis un accident de voiture a choisi de recourir à l’aide médicale à mourir en octobre dernier. De plus, une femme de 31 ans est en voie d’obtenir l’approbation finale pour recevoir l’aide médicale à mourir afin d’échapper à ce qu’elle décrit comme une situation de pauvreté abjecte.

Monsieur le leader, il y a quelques années, lors d’une intervention dans le débat sur le projet de loi C-7, vous avez dit ceci :

Le projet de loi C-7 établit un équilibre raisonnable entre les droits des personnes qui veulent avoir recours à l’aide médicale à mourir et les mesures de sauvegarde nécessaires pour protéger les plus vulnérables de la société.

Monsieur le leader, le croyez-vous encore? Si c’est le cas, alors pouvez-vous nous expliquer pourquoi ces mesures de sauvegarde n’ont pas fonctionné dans le cas de ces trois femmes?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de votre question, cher collègue. Ces récits sont tragiques et nous sommes de tout cœur avec les familles qui ont souffert.

Je crois toujours que le projet de loi que nous avons adopté constitue un équilibre raisonnable. Je suis également encouragé par les travaux du Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir qui cherchent à améliorer la loi. Je suis convaincu que les sénateurs et nos collègues de l’autre endroit continueront à travailler pour faire en sorte que la loi trouve le juste équilibre.

Le sénateur Plett : Monsieur le leader, en novembre 2020, Krista Carr d’Inclusion Canada a déclaré : « notre plus grande crainte a toujours été de voir une situation de handicap devenir un motif acceptable de suicide assisté par l’État ».

Sénateur Gold, l’un de vous a malheureusement raison. Une des femmes dont j’ai parlé plus tôt était sensible à certains produits chimiques. Les recherches indiquent que cette situation aurait pu être corrigée. Une autre femme n’arrivait pas à trouver du logement abordable et elle n’a pratiquement obtenu aucune aide. Elle a donc choisi l’aide médicale à mourir.

Sénateur Gold, reconnaissez-vous qu’il était difficile d’aider ces femmes à vivre, alors qu’il était facile de les aider à mourir? Admettrez-vous que les prétendues mesures de sauvegarde de l’aide médicale à mourir qui, selon vous, protège les plus vulnérables de la société ne font rien de la sorte en réalité?

Le sénateur Gold : Je vous remercie de votre question. La réponse courte — et je serai bref, puisqu’on me l’a recommandé —, est non, je ne suis pas d’accord, monsieur le sénateur.

L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) : Honorables sénateurs, ma question pour le leader du gouvernement porte également sur l’aide médicale à mourir.

Le 13 avril dernier, pendant son témoignage devant le Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir, Mme Abby Hoffman, conseillère exécutive au sous-ministre de la Santé, a admis que le gouvernement n’a pas vraiment commencé les consultations auprès des communautés autochtones au sujet des modifications apportées au régime de l’aide médicale à mourir au Canada. Le projet de loi C-7 a reçu la sanction royale le 17 mars 2021 — il y a plus d’un an.

Sénateur Gold, pourquoi le gouvernement a-t-il encore une fois omis de consulter les communautés autochtones à propos des modifications qu’il envisage d’apporter au régime d’aide médicale à mourir?

Le sénateur Gold : Je vous remercie de votre question. Je vais certainement me renseigner pour mieux comprendre le fond de votre question.

Les modifications qui pourraient être apportées au régime d’aide médicale à mourir découleront du travail du comité parlementaire mixte spécial et du projet de loi qui sera présenté — qu’il nous reviendra bien sûr d’examiner et de surveiller.

La sénatrice Martin : Monsieur le leader, conformément au projet de loi C-7, le gouvernement a mis sur pied un groupe d’experts qui est chargé de recommander des protocoles, des lignes directrices et des mesures de sauvegarde pour les demandes d’aide médicale à mourir présentées par des personnes atteintes d’une maladie mentale. Ces personnes seront admissibles à cette procédure en mars 2023, comme vous le savez.

Mme Hoffman a dit au comité que les recommandations du groupe d’experts seraient rendues publiques plus tard ce mois-ci.

Sénateur Gold, comment expliquez-vous que le groupe d’experts présentera ses recommandations sur l’aide médicale à mourir pour les personnes atteintes d’une maladie mentale sans que les communautés autochtones aient été consultées?

Le sénateur Gold : Je vous remercie encore une fois de votre question. Je me renseignerai pour comprendre les sources sur lesquelles repose l’opinion des experts. Je suis convaincu que je pourrai vous fournir des réponses rapidement.

L’infrastructure

Les projets d’infrastructure

L’honorable Mary Coyle : Honorables sénateurs, ma question s’adresse au représentant du gouvernement au Sénat.

Sénateur Gold, Infrastructure Canada a mis en œuvre l’Optique des changements climatiques en 2018. Cet outil a fixé des exigences claires en matière de rapports et a permis l’estimation de la réduction prévue des émissions de gaz à effet de serre pour les projets d’infrastructures financés par le fédéral.

(1430)

Toutefois, dans son récent rapport, le commissaire à l’environnement et au développement durable du Bureau du vérificateur général a conclu qu’Infrastructure Canada avait trop assoupli ces exigences quand il a mis à jour l’Optique des changements climatiques en mars 2021. Cela signifie qu’on ne dispose plus de renseignements exacts et fiables pour évaluer la résilience aux changements climatiques et les émissions de gaz à effet de serre des projets d’infrastructures financés par le gouvernement, ainsi que pour en faire rapport.

Sénateur Gold, pouvez-vous nous dire comment le ministre des Affaires intergouvernementales, de l’Infrastructure et des Collectivités prévoit corriger cette grave lacune dans les exigences de production de rapports, et comment le gouvernement s’assurera que les projets d’infrastructures financés par le fédéral respectent les cibles de carboneutralité du Canada et se conforment à son nouveau plan de réduction des émissions? Merci.

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je remercie la sénatrice de sa question. Le gouvernement s’est engagé à investir dans l’infrastructure pour nous aider à atteindre la carboneutralité, et il est déterminé à travailler avec les provinces, les territoires et les communautés autochtones pour s’assurer que les énergies propres peuvent circuler et être utilisées rapidement et efficacement au Canada.

Sénatrice, afin de répondre plus en détail à votre question, je vais me renseigner auprès du gouvernement et je reviendrai au Sénat avec une réponse dans les meilleurs délais.

La sénatrice Coyle : Sénateur Gold, nous savons que les exigences du nouveau Programme pour les bâtiments communautaires verts et inclusifs représentent une amélioration par rapport aux exigences assouplies de l’Optique des changements climatiques dont j’ai parlé plus tôt — qu’on appelle aussi l’Optique numéro 2. Cette version aux exigences affaiblies s’applique encore aux trois programmes d’infrastructures les plus anciens qui sont toujours en vigueur.

Sénateur Gold, le Bureau du vérificateur général indique qu’il n’est pas trop tard pour remédier à l’affaiblissement de l’Optique des changements climatiques. Pourriez-vous nous dire quand ce rajustement sera effectué? Merci.

Le sénateur Gold : Je vous remercie de votre question. Je vais certainement l’ajouter à ma liste lorsque je me renseignerai. Cela dit, je saisis l’occasion — et d’ailleurs, je vous remercie de me la donner — pour rappeler aux sénateurs que le rapport de la vérificatrice générale était unique en ce sens qu’il a été rédigé et publié pendant que le gouvernement travaille toujours à son plan et à la mise en œuvre de celui-ci, ce qui permet au gouvernement de rectifier le tir au besoin pour tenir compte de la rétroaction très utile de la vérificatrice générale.

Je vous remercie de votre question. Je rendrai réponse au Sénat dès que possible.

[Français]

La sécurité publique

La réglementation des armes à feu

L’honorable Julie Miville-Dechêne : Sénateur Gold, il y a deux ans, le gouvernement a interdit 1 500 modèles d’armes d’assaut au Canada; c’était une bonne mesure. Sans surprise, les fabricants d’armes ont déjà commencé à contourner la règle. L’organisme PolySeSouvient a récemment exposé plusieurs exemples de fabricants qui vendent au Canada de nouvelles armes d’assaut, souvent facilement modifiables pour accroître la capacité des chargeurs, mais qui échappent aux restrictions.

En 2019, la Nouvelle-Zélande a résolu ce problème en prohibant toutes les carabines semi-automatiques à percussion centrale. En 2020, l’ex-ministre de la Sécurité publique, Bill Blair, avait pourtant annoncé son intention de resserrer la réglementation pour empêcher ces contournements.

Le gouvernement compte-t-il agir bientôt pour boucher les trous dans sa réglementation sur les armes d’assaut?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Merci pour la question, madame la sénatrice.

Le gouvernement travaille très fort non seulement afin de mettre en œuvre des règlements additionnels, pour faire en sorte que les lacunes soient comblées ou éliminées, mais aussi pour introduire un projet de loi sur les armes à feu. Aussitôt que ce sera prêt, ce sera annoncé publiquement.

La sénatrice Miville-Dechêne : Je prends note de votre réponse. Toutefois, je vous dirais qu’après avoir consulté le nombre d’armes à feu modifiées et mises en marché au Canada, il y a lieu de penser qu’il y a une certaine urgence à agir, et la mesure la plus importante consisterait justement à resserrer cette réglementation. Si je comprends bien, cela pourrait se faire en ce moment même, et ce, sans même avoir à présenter un projet de loi.

Une autre mesure, comme vous l’avez dit, demeure l’idée d’un rachat des armes d’assaut, que l’on attend toujours. La Nouvelle-Zélande a réussi un rachat obligatoire des armes prohibées, et cela s’est fait en 2019; il s’en est suivi un rachat de 50 000 armes. Si la Nouvelle-Zélande est capable de le faire, pourquoi le Canada n’en est-il pas capable?

Après deux ans, le gouvernement ne peut pas se contenter de dire « continuons de travailler sur ces dossiers », donc je me demande où sont les indices de progrès tangibles.

Le sénateur Gold : Merci pour la question, madame la sénatrice.

Je comprends très bien l’urgence, la frustration ainsi que l’importance de la question. Cela étant dit, vous devez bien comprendre que les discussions en comité du Cabinet sont confidentielles. Je ne suis pas en mesure de répondre à votre question, sauf pour souligner, encore une fois, le fait que le gouvernement prend cela très au sérieux. Celui-ci aura des annonces à faire bientôt, je l’espère.

Les affaires étrangères

Les relations entre le Canada et l’Afrique

L’honorable Amina Gerba : Ma question s’adresse au représentant du gouvernement au Sénat.

Sénateur Gold, l’Afrique est un grand marché en voie d’unification autour d’une zone de libre-échange continental. Cette zone de libre-échange représente 3 000 milliards de dollars en PIB, ce qui en fera la plus grande zone de libre-échange au monde. L’Afrique, c’est 1,2 milliard de consommateurs. On prévoit qu’en 2050, un être humain sur quatre vivra sur le continent africain, qui sera de surcroît le continent le plus jeune du monde. L’Afrique, c’est 54 pays qui représentent une voix importante dans les instances et les alliances stratégiques internationales.

D’ailleurs, l’échec du Canada à obtenir un siège au Conseil de sécurité des Nations unies est sans aucun doute lié au manque de soutien des pays africains. Aujourd’hui, la Russie réussit à contourner une partie des sanctions internationales imposées contre elle grâce aux pays africains qui se sont majoritairement abstenus de condamner l’invasion de l’Ukraine, et dont certains ont même renoncé à appliquer des sanctions contre elle.

Sénateur Gold, le gouvernement du Canada est-il conscient de l’importance stratégique de l’Afrique?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Merci de la question, madame la sénatrice.

Le gouvernement du Canada reconnaît l’importance stratégique de l’Afrique. Comme vous le savez, le Canada et l’Afrique entretiennent depuis longtemps des relations significatives. Je vous en cite quelques exemples. La récente visite du secrétaire parlementaire de la ministre des Affaires étrangères au Sénégal et au Nigéria en avril a également permis de renforcer ces liens. À Dakar, il a rencontré des représentants clés du gouvernement pour discuter des relations entre le Canada et le Sénégal, et des priorités de l’Union africaine.

La sénatrice Gerba : Je comprends, sénateur Gold, qu’il y a des actions qui sont menées en ce moment vers l’Afrique par le gouvernement du Canada, mais que fait le gouvernement du Canada, concrètement, pour rallier l’Afrique à sa cause au sein des instances internationales?

Le sénateur Gold : Merci de la question.

Comme je l’ai mentionné, le secrétaire parlementaire de la ministre des Affaires étrangères est récemment allé en Afrique. Au Nigéria, il a rencontré des parlementaires pour discuter de commerce, des répercussions de la COVID-19 et de l’invasion de l’Ukraine, ainsi que de l’importance des liens entre nos peuples.

Le gouvernement du Canada demeure déterminé à cultiver ces liens importants avec nos partenaires africains, et il s’engage à continuer à approfondir ses engagements en matière de priorités régionales et d’enjeux internationaux.

[Traduction]

La justice

La Loi sur l’évaluation d’impact

L’honorable Scott Tannas : Honorables sénateurs, ma question s’adresse au sénateur Gold. Il y a à peine quelques minutes, la Cour d’appel de l’Alberta a invalidé le projet de loi C-69, Loi sur l’évaluation d’impact, les juges l’ayant qualifié d’« empiétement ahurissant sur le pouvoir législatif des provinces ».

(1440)

Sénateur Gold, en tant que leader du gouvernement ou constitutionnaliste, j’aimerais que vous nous disiez ce qui, à votre avis, arrivera ensuite.

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Merci de votre question. Je vais vous répondre en tant que représentant du gouvernement. La réponse courte est que le gouvernement étudie présentement les avis produits par la Cour d’appel de l’Alberta. Il envisagera ensuite les prochaines étapes qui s’offrent à lui et il réfléchira bien à la possibilité d’interjeter appel.

Je voudrais ajouter quelques éléments, parce qu’il s’agit d’une question importante qui nous concerne tous à titre de parlementaires. La Loi sur l’évaluation d’impact a été conçue de façon à refléter les besoins et les valeurs des Autochtones, de la population et des investisseurs afin que tous puissent avoir la conviction que les décisions sont prises de façon à défendre leurs intérêts et que le Canada peut prospérer en faisant du développement durable. Le gouvernement a travaillé avec les gouvernements des provinces et des territoires lorsqu’il a élaboré la loi afin que leur opinion soit prise en compte et que les compétences des provinces et territoires soient respectées dans les efforts conjoints pour l’atteinte d’un objectif commun, soit de répondre aux besoins des Canadiens. Qu’il s’agisse de protéger l’environnement naturel, de créer des occasions économiques, de protéger la santé de la population ou de préserver la culture, le patrimoine et les droits des Autochtones, la Loi sur l’évaluation d’impact exige un examen holistique des impacts d’un projet. La collaboration avec les provinces amène un processus d’évaluation d’impact unique pour les projets d’envergure qui tient compte de tous les impacts des projets concernés.

Pour toutes ces raisons, honorables sénateurs, le gouvernement a toujours la ferme intention de mettre en œuvre le processus d’évaluation d’impact fédéral. Le gouvernement du Canada continuera de collaborer avec l’Alberta et avec les autres provinces et territoires pour que des évaluations efficaces et efficientes des projets soient menées.

Enfin, revenons à la décision de la cour. Honorables sénateurs, vous permettrez peut-être au constitutionnaliste en moi de se faufiler dans ma réponse. La décision de la Cour d’appel de l’Alberta est de nature consultative. Les sénateurs doivent donc comprendre que la loi et les règlements demeurent en vigueur.

Les affaires étrangères

La crise en Afghanistan

L’honorable Marilou McPhedran : Honorables sénateurs, ma question s’adresse au sénateur Gold, leader du gouvernement au Sénat. Sénateur Gold, ma question porte sur la mise en œuvre par le Canada de sa politique étrangère féministe par le biais de l’aide humanitaire que nous fournissons à l’Afghanistan. Comme vous le savez certainement, depuis le mois d’août de l’année dernière, je travaille avec la société civile et les gouvernements pour tenter d’aider les femmes afghanes en danger à quitter leur pays pour trouver une certaine sécurité. Le Programme alimentaire mondial et l’UNICEF nous disent que nous pouvons nous attendre à ce que plus d’un million d’enfants afghans meurent de malnutrition dans les mois à venir.

Ma question porte sur le grand moment de fierté de l’année dernière où le Canada a promis plus de 56 millions de dollars d’aide humanitaire à l’Afghanistan. L’Organisation des femmes afghanes et d’autres intervenants ayant des lignes de communication directes avec l’Afghanistan m’ont informée que l’on ne sait rien de ce qu’il est advenu de ces 56 millions de dollars. Ont-ils été dépensés? Si oui, ont-ils servi à offrir de l’aide humanitaire aux personnes en danger en Afghanistan, notamment les femmes et les jeunes filles? Le Canada a fermé son ambassade et les fonctionnaires canadiens ont été parmi les premiers à fuir, il est donc difficile d’obtenir des informations précises. Le gouvernement du Canada est-il en mesure de répondre à ces préoccupations de la société civile et de fournir des détails sur ces plus de 50 millions de dollars d’aide humanitaire?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de la question et d’avoir souligné l’inacceptabilité de la tragédie qui frappe les femmes en Afghanistan sous le régime taliban.

Comme vous l’avez signalé, c’est un véritable défi de travailler dans de telles circonstances, et le Canada continue de faire de son mieux en collaborant avec de nombreux organismes de défense des droits de la personne et des organisations de femmes. Je n’ai pas de réponse précise à votre question. Néanmoins, je vais me renseigner et je vous donnerai une réponse dès que je le pourrai.

La sénatrice McPhedran : Sénateur Gold, le Canada fait-il ce que font la plupart des autres donateurs dans le monde? D’autres donateurs créent des exemptions et d’autres solutions de rechange pour permettre la prestation d’aide humanitaire directement aux organismes en Afghanistan, sans passer par les talibans. Le Canada fait-il la même chose?

Le sénateur Gold : Encore une fois, je vais me renseigner sur cette question aussi. Le gouvernement du Canada ne reconnaît pas le régime taliban. Par conséquent, j’imagine qu’il conserve la même position lorsqu’il veille à ce que l’aide humanitaire soit fournie à la population. Je vais me renseigner sur ces deux questions et je vous informerai de ce que j’aurai appris.

L’immigration, les réfugiés et la citoyenneté

L’arriéré de traitement des demandes d’asile

L’honorable Salma Ataullahjan : Honorables sénateurs, ma question s’adresse au leader du gouvernement au Sénat. Sénateur Gold, la semaine dernière, nous avons appris qu’un résidant de Saskatoon tente depuis 19 ans de faire venir au Canada ses parents, qui ont fui l’Afghanistan pour se réfugier au Pakistan lorsque les talibans ont pris le pouvoir à la fin des années 1990.

Il y a eu quelques progrès en juillet dernier : la famille a loué une maison pour un an, l’a meublée et, depuis, paie pour une maison vide. Les parents, qui vivent maintenant dans un camp de réfugiés, ont tout vendu chaque fois qu’il y avait du nouveau dans leur dossier. Sénateur Gold, ce n’est pas un cas isolé. Cette famille essaie de se réunir depuis plus de 19 ans, soit bien avant la pandémie de COVID-19, mais Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada l’a laissée tomber à plusieurs reprises. Que fait-on pour s’assurer que les demandes ne passent pas entre les mailles du filet?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de votre question. Le gouvernement est bien conscient des difficultés que pose le processus de demande. Il fait tout ce qu’il peut pour accueillir les familles qui seront réunies et les réfugiés qui arriveront. Le ministère a réalisé des progrès considérables, mais il est tout à fait conscient que les difficultés demeurent et fait tout en son pouvoir pour les résoudre.

La sénatrice Ataullahjan : Sénateur Gold, en date du 26 avril, il y avait plus de 110 000 demandes de statut de réfugié en attente de traitement. Bon nombre des demandeurs vivent dans des conditions horribles, souvent dans un camp de réfugiés, en attendant la décision d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada. Chaque jour de retard met en danger la vie de réfugiés LGBT et affecte grandement leur santé mentale. Pire, ils sont souvent persécutés par d’autres réfugiés et par la police. Sénateur Gold, ces réfugiés vulnérables craignent en permanence pour leur vie. Pourquoi le gouvernement n’en fait-il pas plus pour les aider? Combien de temps encore devront-ils attendre?

Le sénateur Gold : Le gouvernement fait son possible pour les aider, et je regrette que cela prenne beaucoup plus de temps que le gouvernement et nous le souhaiterions. Je peux assurer au Sénat que le gouvernement reste concentré sur cette question et qu’il fait du mieux qu’il peut.

La santé

La pandémie de COVID-19 — Les exigences liées à la vaccination

L’honorable Denise Batters : Sénateur Gold, la semaine dernière, le gouvernement Trudeau a mis fin à plusieurs programmes d’aide fédéraux liés à la COVID-19. La vice-première ministre Freeland a d’ailleurs déclaré ceci à ce sujet : « Le temps est maintenant venu de mettre fin aux mesures de soutien extraordinaires liées à la pandémie. »

Sénateur Gold, je peux vous parler d’autres mesures extraordinaires qui ne sont plus nécessaires : retirer à quelqu’un son emploi et ses avantages sociaux parce qu’il ou elle ne peut ou ne veut pas se faire vacciner, ou empêcher un citoyen canadien de monter à bord d’un avion ou d’un train et de se déplacer librement à l’intérieur des frontières de son propre pays. Sénateur Gold, je vous ai déjà demandé deux fois à quel moment le premier ministre Trudeau comptait lever ses exigences fédérales liées à la vaccination. Comme vous n’aviez pas la réponse, je vais vous reposer la question en espérant que la troisième fois sera la bonne. Si le gouvernement Trudeau admet maintenant que les mesures extraordinaires ne sont plus nécessaires pour aider les Canadiens au sujet de la COVID, quand mettrez-vous également fin aux mesures fédérales extraordinaires et punitives liées à la vaccination?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de votre question. Loin de moi l’idée de vous décevoir, sénatrice Batters, mais vous pourriez être insatisfaite de ma réponse.

Il y a une distinction à faire ici. On reconnaît que les sommes considérables investies pour aider les Canadiens et les entreprises à traverser la pandémie ne sont peut-être plus nécessaires et qu’il faut maintenant mettre l’accent sur le renforcement de l’économie et faire en sorte de s’attaquer aux graves problèmes que nous connaissons à l’heure actuelle en ce qui touche le logement abordable, l’inflation et j’en passe. Il faut donc faire la distinction entre cette décision et celle d’adopter une approche prudente en matière de santé publique. Lorsque le gouvernement jugera que certaines directives ne seront plus utiles, il fera les annonces pertinentes, comme il l’a fait à maintes reprises au cours des derniers mois.

La sénatrice Batters : Sénateur Gold, on serait porté à croire qu’occuper un emploi a une incidence favorable sur l’abordabilité.

L’administratrice en chef de la santé publique du Canada, la Dre Theresa Tam, a déclaré que le Canada connaît « une diminution de la transmission dans de nombreuses régions ». Elle a précisé que les indicateurs provenant des eaux usées « se sont stabilisés ».

(1450)

Les provinces ont abandonné les restrictions sanitaires. Nos alliés de par le monde ont fait de même. Le gouvernement Trudeau a mis fin aux programmes d’aide pour la COVID-19. Pourtant, le gouvernement refuse encore de rédiger un plan pour la levée des exigences fédérales inutiles quant à la vaccination. Pourquoi?

Le sénateur Gold : Le gouvernement continue d’évaluer les besoins concernant les restrictions avant de procéder à certains ajustements. Comme je l’ai dit, nous poursuivons notre réflexion en tenant compte des enjeux de santé publique, mais aussi de l’intérêt supérieur des Canadiens.

L’emploi et le développement social

Le port de Montréal

L’honorable Frances Lankin : Honorables sénateurs, ma question s’adresse au représentant du gouvernement au Sénat. Sénateur Gold, je voudrais revenir au recours à la loi de retour au travail dans le cadre de la grève des débardeurs au port de Montréal. Nous savons que la ministre avait alors déclaré — comme je l’ai précisé dans ma question la semaine dernière — qu’il s’agissait littéralement d’une question de vie ou de mort. Elle parlait des mesures liées à la pandémie de COVID-19 et des produits pour lutter contre la pandémie qui devraient transiter par le port. Si je puis me permettre, j’aimerais citer un de nos pairs, le sénateur Michael MacDonald. Je lui rends hommage en cette occasion. Il a déclaré :

On nous a répété que nous devions adopter cette mesure législative en raison de la situation liée à la COVID [...] il s’agit là d’une fausse justification [...] tenir des propos alarmistes au sujet de la COVID ne constitue pas [...] un argument valable ou convaincant.

Personnellement, je n’aurais pas utilisé le mot « alarmiste ». Je pense que la prise décisionnelle était alors source de grande tension pour tous les ordres de gouvernement du Canada, mais je note que nous savons que les travailleurs s’étaient engagés à transporter ces produits au besoin. Nous savons que le ministère du Travail a procédé à un audit et que seuls cinq conteneurs renfermaient des produits liés à la COVID. Nous savons qu’il n’y avait pas de vaccins dans ces conteneurs, et nous savons aussi que le PDG a refusé de rendre public le nombre exact de masques et de seringues bloqués au port « en raison de la confidentialité requise ».

On s’est donc mis à invoquer plutôt l’argument des répercussions économiques, lesquelles doivent nécessairement être prises en considération quand on examine la grève et qu’on envisage de suspendre les droits des travailleurs garantis par la Constitution et la Charte dans ce pays.

J’aimerais vous lire une autre note du ministère et les conseils qui y sont donnés. La note dit :

La fermeture complète du port empêche le transport de marchandises d’une valeur de 270 M$ par jour. Il est important de reconnaître qu’il s’agit de la valeur des marchandises retardées et qu’elle ne se traduit pas par une perte permanente directe.

La note laisse entendre que les navires de charge et les conteneurs détournés se sont rendus à Halifax, à Saint John et à Hamilton avec une semaine de retard.

Sénateur, j’aimerais que vous demandiez au gouvernement d’examiner toute cette documentation et d’expliquer à la Chambre des communes et au Sénat en quoi ces faits constituent des motifs suffisants pour justifier la restriction, conformément à l’article 1 de la Charte, du droit constitutionnel des travailleurs à la liberté d’association.

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Merci. Je vais certainement me renseigner.

Chers collègues, tout d’abord, la question de savoir si la justification, qui avait de multiples aspects et incluait des considérations économiques, passait ou non le test a été évaluée par les parlementaires. Nous avons décidé, à la lumière du projet de loi et des éléments progressifs de la loi de retour au travail, qu’elle était suffisante et conforme à la Charte. C’est également le rôle des tribunaux d’effectuer cette évaluation.

Je rappelle aux sénateurs que, premièrement, cette loi de retour au travail était un dernier recours absolu. Le gouvernement ne l’a pas adoptée à la légère. Deuxièmement, comme mes collègues le savent, le port de Montréal est le deuxième terminal à conteneurs du Canada. Il a un trafic de 35 millions de tonnes de marchandises représentant 40 milliards de dollars de produits par an. L’arrêt de travail risquait de causer des dommages graves et durables à notre économie, comme cela a été souligné dans la déclaration fournie au nom de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain.

Par la modélisation, on a estimé que les dommages à l’économie étaient de l’ordre de 40 à 100 millions de dollars par semaine. Le gouvernement a jugé, avec l’appui du Parlement, que la loi était essentielle pour préserver l’intérêt public. Dans la mesure où un tribunal ne serait pas d’accord, nous respecterions, bien sûr, la décision de celui-ci, mais je pense que le gouvernement demeure convaincu qu’il a satisfait au critère de la Charte.


[Français]

ORDRE DU JOUR

Les travaux du Sénat

L’honorable Raymonde Gagné (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, conformément à l’ordre adopté le 7 décembre 2021, je souhaite informer le Sénat que la période des questions avec l’honorable Ginette Petitpas Taylor, c.p., députée, ministre des Langues officielles et ministre responsable de l’Agence de promotion économique du Canada atlantique, aura lieu le mercredi 11 mai 2022, à la fin des affaires courantes ou à 14 h 30, selon la dernière éventualité.

[Traduction]

La Loi sur les douanes
La Loi sur le précontrôle (2016)

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Boniface, appuyée par l’honorable sénateur Gold, c.p., tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-7, Loi modifiant la Loi sur les douanes et la Loi sur le précontrôle (2016).

L’honorable David M. Wells : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi S-7, Loi modifiant la Loi sur les douanes et la Loi sur le précontrôle (2016). Je parlerai dans mon discours de plusieurs problèmes concernant ce projet de loi. Premièrement, je pense qu’il est important d’examiner la justification du gouvernement pour cette mesure législative et de comprendre que ce projet de loi arrive au Parlement très en retard, ce qui signifie qu’il y a un vide juridique sur le plan de l’application de la loi à nos frontières. Deuxièmement, je veux aborder quelques questions et difficultés sérieuses qui émanent de certaines dispositions du projet de loi. Enfin, j’aimerais faire des observations sur la façon dont le projet de loi a été présenté et sur ce que cela révèle, selon moi, au sujet du problème très grave que représente l’approche réactive du gouvernement en matière d’élaboration des politiques.

Malheureusement, chers collègues, ce projet de loi fait partie d’une tendance. La tendance, c’est celle d’un gouvernement qui élabore des politiques de façon très réactive et qui est extrêmement lent à mettre ces politiques en œuvre.

Premièrement, j’aimerais répondre aux arguments du gouvernement sur l’objet du projet de loi, que la sénatrice Boniface a présentés la semaine dernière, dans cette enceinte. Dans ses observations, la sénatrice a indiqué que le projet de loi S-7 découle d’une décision rendue en octobre 2020 par la Cour d’appel de l’Alberta, selon laquelle les procédures d’examen employées par l’Agence des services frontaliers du Canada, ou ASFC, étaient inconstitutionnelles en ce qui concerne le contenu des appareils numériques personnels. Jusqu’à tout récemment, ces appareils étaient examinés au titre de l’alinéa 99(1)a) de la Loi sur les douanes. La cour a décidé d’invalider cette disposition de la loi pour les appareils numériques personnels, au motif que la loi ne limitait aucunement la portée de ces examens.

Depuis de nombreuses années, les agents de l’ASFC se fondent sur l’alinéa 99(1)a) de la Loi sur les douanes ainsi que sur la définition du terme « marchandises » qui se trouve dans cette loi.

Comme la sénatrice Boniface l’a indiqué, les appareils numériques sont en mesure de contenir des documents pouvant renfermer des renseignements sur toute la vie d’une personne ainsi que des données très intimes sur sa vie privée.

La Cour d’appel a établi que, en ce qui a trait à la vie privée, même si une personne qui franchit des frontières internationales doit avoir des attentes réduites par rapport aux normes d’une société libre et démocratique, l’ampleur de l’information à laquelle les agents frontaliers ont accès lorsqu’ils examinent des appareils numériques personnels tend à indiquer que des limites raisonnables doivent être établies.

La sénatrice Boniface a cité cet extrait de la décision de la Cour d’appel :

Nous sommes conscients que la protection de la confidentialité du contenu des appareils électroniques personnels d’un individu tout en reconnaissant la nécessité d’assurer une sécurité efficace à la frontière fait appel à un équilibre complexe et fragile. Il reviendra au Parlement de définir, s’il le choisit, une nouvelle approche imposant des limites raisonnables à la possibilité de réaliser de telles fouilles à la frontière.

Chers collègues, voilà ce que nous faisons aujourd’hui avec ce projet de loi.

Bien que le tribunal ait indiqué que le Parlement doit décider s’il souhaite promulguer une loi à cet égard, en réalité, notre système politique fait en sorte qu’il revient au gouvernement de présenter un projet de loi pour combler le vide juridique qui résulte de la décision de la Cour d’appel.

À cet égard, nous devons être tout à fait conscients qu’il existe maintenant un vide juridique majeur. En effet, bien que la décision de la Cour d’appel de l’Alberta ne s’applique que dans cette province, la Cour supérieure de justice de l’Ontario a elle aussi statué que le même article de la Loi sur les douanes est inconstitutionnel, ce qui étend ce vide juridique à l’Ontario.

(1500)

Chers collègues, je crois qu’il importe de signaler la nature des affaires qui ont mené à ces jugements en Alberta et en Ontario. Dans les deux cas, l’affaire portait sur l’importation de pornographie juvénile. Je sais que tous les sénateurs conviendront qu’une telle infraction représente l’un des actes criminels les plus dégoûtants et les plus dangereux qui puissent être perpétrés, puisque l’auteur s’en prend aux membres les plus vulnérables et les plus innocents de notre société.

Dans ses observations, la sénatrice Boniface a déclaré :

Il est impératif que nous prenions au sérieux cette incongruité entretemps. Je vous exhorte, chers collègues, non pas en tant que marraine de ce projet de loi, mais en tant que personne ayant travaillé dans le milieu de l’application de la loi pendant longtemps, à accorder la priorité d’examen au projet de loi S-7. Nous ne pouvons pas laisser cette incongruité persister une journée de plus qu’il le faut pour deux raisons. D’abord, les modules de formation des agents des services frontaliers ne peuvent pas être rédigés avant que la version définitive du projet de loi soit adoptée par le Parlement. Ensuite et par-dessus tout, chaque jour qui passe à partir de maintenant pourra servir à l’importation au Canada de matériel obscène, comme de la pornographie juvénile.

Je suis bien sûr d’accord avec la sénatrice sur ce point, chers collègues. Je pense que nous le sommes tous. Je dois toutefois souligner le fait que la cour a donné au gouvernement 18 mois pour répondre à sa décision. Elle lui a accordé initialement 12 mois, puis elle a prolongé le délai de 6 mois. Or, la sénatrice Boniface a parlé pour la première fois du projet de loi au nom du gouvernement la journée même où le prolongement des dispositions de l’alinéa 99(1)a) de la Loi sur les douanes a pris fin. Comment expliquer cela? En fait, deux jours plus tôt, j’ai souligné au sénateur Gold que l’expiration du prolongement accordé par la cour était imminente. Chers collègues, je ne suis que le porte-parole pour le projet de loi.

À mon avis, rien ne justifie une telle situation. C’est d’autant plus vrai que les mesures que le gouvernement propose maintenant au moyen du projet de loi S-7 — pour utiliser les mots de la sénatrice Boniface — existent déjà. Le projet de loi S-7 prend les politiques internes existantes de l’Agence des services frontaliers du Canada concernant l’examen des appareils numériques personnels et propose de les inscrire dans la loi. Pour une raison qui m’échappe, il aura fallu 18 mois pour y arriver, et ce n’est pas fini.

À ce sujet, je vais encore une fois citer la Cour d’appel de l’Alberta :

Nous savons que l’atteinte d’un équilibre entre la protection de la confidentialité du contenu des appareils électroniques personnels d’un individu et la nécessité d’assurer une sécurité efficace à la frontière sera un exercice complexe et délicat.

Or, le projet de loi S-7 n’a rien à voir avec un exercice complexe et délicat visant l’atteinte d’un équilibre. Il se contente de reproduire dans la loi la politique interne de l’Agence des services frontaliers du Canada. C’est ce que j’ai appris lors de la séance d’information ministérielle, ainsi que dans la séance d’information s’adressant aux porte-parole.

C’est extrêmement malheureux parce qu’il y a des graves préoccupations en matière de protection de la vie privée. Je vais en énumérer quelques-unes. Tout d’abord, il y a le critère juridique qui sera utilisé pour justifier l’examen d’un appareil numérique personnel, à savoir l’existence de « préoccupations générales raisonnables ». Lorsque je parle de « préoccupations générales raisonnables », chers collègues, je cite le projet de loi. Les notes d’information de l’Agence des services frontaliers du Canada précisent que ces préoccupations pourraient être engendrées par une multiplicité d’indicateurs ou par un indicateur particulièrement important. Cela ne nécessite pas d’infraction précise. La préoccupation doit seulement être liée à l’infraction d’une loi concernant l’importation ou l’exportation de biens.

Cela signifie que l’expression « préoccupations générales raisonnables » pourrait, en fait, signifier presque n’importe quoi. Les termes « préoccupations », « générales » et « raisonnables » constituent les normes les plus basses qu’on pourrait fixer. Si un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada trouve qu’un voyageur semble nerveux, ce serait suffisant pour justifier la fouille complète d’un appareil. Il n’y a pas que les malfaiteurs qui seraient pénalisés, mais tous les Canadiens faisant l’objet d’une fouille secondaire. Durant le débat de la semaine dernière, notre collègue, la sénatrice Busson, a dit qu’elle craignait que « ce projet de loi rende plus difficile pour les agents des services frontaliers de fouiller des appareils numériques douteux ».

En revanche, notre collègue, la sénatrice Simons a affirmé ceci :

Je crains que cela ouvre la porte à plus de fouilles intempestives que sous le régime réglementaire utilisé actuellement par les agents frontaliers.

En réalité, chers collègues, ces fouilles n’étaient même pas effectuées dans le cadre d’un régime réglementaire, mais d’une politique n’offrant aucun contrôle ni aucune protection aux Canadiens.

La sénatrice Omidvar a dit que si des préoccupations générales raisonnables sont engendrées par un comportement qu’un agent frontalier observe, ce serait quelque chose de « profondément subjectif ».

Je suis d’accord avec la sénatrice, puisque cette subjectivité serait rendue encore plus présente par le fait que les interventions pourraient être déclenchées par de nombreux indicateurs, qui n’ont pas été définis. Ce pourrait être en raison d’un seul indicateur, encore une fois, qui n’a pas été défini, ou même, comme l’a dit quelqu’un avec justesse lors de la séance d’information, il pourrait s’agir de profilage racial. Il pourrait n’y avoir aucune raison. Chers collègues, une fois qu’un Canadien passe à la fouille secondaire, on pourrait fouiller dans ses appareils numériques sans aucune raison valable.

Ce qui ajoute à la confusion est le fait que, comme l’a souligné à juste titre la sénatrice Simons, il n’y a pas de précédent en droit canadien concernant l’utilisation des termes « préoccupations générales raisonnables » dans une loi. Le gouvernement a rejeté l’idée d’employer l’expression juridique « motifs raisonnables de soupçonner », qui est mieux connue, prétextant que cette expression n’était pas appropriée dans le contexte frontalier. Je pense qu’il faut bien comprendre les arguments juridiques en présence. Le fait que la Cour d’appel de l’Alberta ait apparemment refusé d’imposer un seuil concernant les « motifs raisonnables de soupçonner » dans sa décision semble appuyer cet argument. En tant que législateurs, il faut comprendre pourquoi il en est ainsi et pourquoi la codification simple de la politique de l’Agence des services frontaliers du Canada constitue la meilleure approche. Le gouvernement n’a fourni aucune explication sur cet élément important et on lui a posé directement la question. Il est impossible de savoir ce que signifie exactement « préoccupations générales raisonnables ». Comme je l’ai dit plus tôt, le simple fait qu’une personne paraisse nerveuse pourrait suffire.

Si nous devons nous conformer à la consigne de la cour de définir « une nouvelle approche imposant des limites raisonnables à la possibilité de réaliser des fouilles à la frontière », cette question sera étudiée par un comité. Il est question de limites raisonnables, chers collègues. C’est ce qu’a indiqué la cour. En fait, la notion de préoccupations générales raisonnables revient à une absence de limites. Je crois que le gouvernement ne s’est pas livré à cet exercice en rédigeant ce projet de loi, l’ayant tiré directement de sa politique. Il incombe donc au Parlement, c’est-à-dire à nous, chers collègues, de combler cette lacune, tout en composant avec la pression du vide juridique que le gouvernement a créé en laissant s’écouler plus de 18 mois.

En ce qui concerne l’examen des appareils numériques personnels à la frontière, des questions fondamentales se posent quant à la manière exacte dont les agents s’y prendront. On nous a affirmé que ces examens seront encadrés par des règlements dont nous n’avons pas vu la couleur et que nous n’élaborerons pas.

Chers collègues, comme vous le savez, bien qu’une mesure législative comme le projet de loi S-7 permette l’élaboration de règlements, nous n’aurons pas notre mot à dire sur ces derniers, car notre rôle se limite à rédiger la loi qui permet l’élaboration de ces règlements. Par conséquent, il est de notre devoir de veiller à ce que les fouilles que subissent les Canadiens soient équitables, mais aussi à ce que les fouilles nécessaires puissent être effectuées lorsqu’elles sont justifiées. Cela doit l’emporter sur des « préoccupations générales raisonnables ».

En ce qui concerne ces règlements, le gouvernement a seulement indiqué deux choses. Premièrement, les agents seront tenus de prendre des notes lorsqu’ils examineront des appareils numériques personnels. Deuxièmement, ces examens se limiteront au matériel présent ou stocké dans les appareils au moment où une personne traverse la frontière.

À l’heure actuelle, nous savons très peu de choses sur la protection concrète qui sera offerte par la prise de notes et sur la manière dont seront régies les limites imposées quant au matériel qu’un agent frontalier peut examiner dans un appareil numérique personnel. Cela inclura-t-il de simples liens vers un site Web ou des fichiers stockés en nuage qui ne se trouveraient évidemment pas dans un appareil numérique?

Ce que nous voulons dans ce contexte, c’est donner aux agents frontaliers des moyens suffisants pour intercepter du matériel obscène ou autrement illégal tout en donnant aux Canadiens l’assurance que leur vie privée ne sera pas compromise lorsqu’il n’y a absolument rien qui le justifie. C’est l’équilibre que nous devons établir.

Dans ce contexte, on m’a dit lors d’une séance d’information s’adressant aux porte-paroles que les agents de l’ASFC qui fouillent un appareil numérique personnel doivent d’abord désactiver la connectivité mobile — ou, comme on le dit communément, « mettre l’appareil en mode avion » — afin de ne pas avoir accès au matériel qui peut simplement être consulté sur le Web et qui n’est pas stocké sur l’appareil. Chers collègues, si c’est enregistré et accessible sur l’appareil, c’est légitime. C’est bel et bien ce qu’on m’a dit.

(1510)

Chers collègues, voici une anecdote personnelle. Il y a plusieurs années de cela, on m’a retenu à la frontière. En fait, en remplissant la déclaration de douane, j’avais déclaré avoir en ma possession 1 000 $ de marchandises. Comme je savais que la limite était de 800 $, je suis entré au poste frontalier pour dire que je voulais payer la taxe et les droits de douane pour la différence. On m’a alors soumis à une fouille secondaire. Les agents m’ont demandé mon téléphone et je le leur ai donné. Ils m’ont demandé de le déverrouiller, ce que j’ai fait. Ils ont examiné mes relevés de compte Visa. Je ne connaissais pas la politique, car je n’avais pas de raison de la connaître. On ne peut invoquer comme excuse le fait d’ignorer la loi, mais c’est peut-être différent en ce qui concerne la politique de l’Agence des services frontaliers du Canada. L’agent des douanes a examiné mes relevés de compte Visa et m’a demandé : « Où avez-vous acheté ceci? Qu’est-ce que c’est? À quoi correspond ce montant? » Cette façon de faire portait atteinte à ma vie privée. Les agents ne m’ont pas dit qu’ils devaient mettre mon téléphone en mode avion, ce qu’ils n’ont pas fait, évidemment. En fait, je pense qu’ils ne le font pas dans la majorité des cas, peut-être même dans tous les cas.

J’ai demandé à la sénatrice Boniface, après son discours, s’il serait approprié que les agents des services frontaliers conseillent également aux voyageurs de désactiver leur connexion. Bien sûr, on ne m’avait pas conseillé de le faire. Or, cela pourrait rassurer les voyageurs que leurs renseignements personnels soient protégés, mais aussi faire en sorte que le matériel illégal stocké sur l’appareil soit accessible aux agents des services frontaliers.

La sénatrice Boniface a suggéré que nous nous penchions sur cette question lors de l’étude en comité, et je crois que nous devons le faire, car il s’agit d’un élément essentiel. Nous devons nous assurer que le processus réglementaire est transparent et qu’il offre aux Canadiens les garanties auxquelles ils ont droit.

Les dispositions de ce projet de loi soulèvent d’autres questions qui méritent notre attention. Par exemple, l’une des mesures intégrées au projet de loi prévoit de diminuer l’amende maximale pour entrave au travail d’un agent des services frontaliers qui effectue une fouille. Chers collègues, on propose dans le projet de loi de réduire l’amende de 50 000 $ à 10 000 $ dans le cas d’une procédure sommaire et de 500 000 $ à 50 000 $ dans le cas d’une mise en accusation.

Je ne sais trop comment la réduction importante des amendes pour la contrebande de matériel de pornographie juvénile servira à protéger les enfants qui font l’objet de ces abus odieux. En fait, je ne vois pas très bien ce que cette disposition a à voir avec l’un des objectifs du projet de loi. Chers collègues, les peines pour des crimes comme celui-ci devraient être renforcées et non réduites.

Au Sénat, nous avons pu constater une tendance à nous renvoyer des projets de loi soudainement, en urgence, souvent à la suite d’un moment de panique lié à des mesures mal planifiées ou des échéances imminentes. Chers collègues, cela a été le cas il y a plus d’un an avec le projet de loi sur la santé et la sécurité dans la zone extracôtière. Le gouvernement avait eu cinq ans pour mettre en œuvre un règlement sur la santé et la sécurité extracôtière. Il a demandé deux ans de plus, que nous lui avons accordés dans une loi d’exécution du budget. Le gouvernement a aussi demandé un délai supplémentaire de deux ans au sujet du projet de loi du sénateur Ravalia, manifestement présenté au Sénat. Nous avons répondu non et lui avons dit de se contenter d’un an. Le projet de loi a été adopté à l’unanimité par le comité, le Sénat et l’autre endroit.

Il est clair que l’échéance est imminente dans le cas du projet de loi maintenant à l’étude. En fait, elle est passée. Je n’ai entendu aucun argument démontrant que cette approche était inévitable. Je ne veux pas trop m’éloigner du sujet, chers collègues, mais cette approche est devenue tellement courante que beaucoup d’entre nous ont à peine sourcillé lorsqu’on nous a dit : « ah oui, en passant, la date d’échéance est aujourd’hui. »

Il y a 18 mois, la Cour d’appel de l’Alberta a indiqué s’attendre à une approche très différente de la part du gouvernement. Je vous rappelle la déclaration de la cour :

Nous sommes conscients que la protection de la confidentialité du contenu des appareils électroniques personnels d’un individu tout en reconnaissant la nécessité d’assurer une sécurité efficace à la frontière fait appel à un équilibre complexe et fragile.

Chers collègues, je suis entièrement d’accord. Comme la cour l’a statué, il incombe maintenant aux parlementaires de concevoir une approche qui impose des restrictions relatives aux fouilles faites dans les postes frontaliers, tout en préservant la sécurité de nos frontières.

Chers collègues, nous savons maintenant que cette approche ne peut reposer sur des définitions vagues de type « préoccupations générales raisonnables » qui n’ont aucun fondement dans la législation canadienne, encore moins dans la pratique. Merci, chers collègues.

L’honorable Gwen Boniface : Merci, sénateur Wells. J’estime que vous avez soulevé des questions très pertinentes, surtout en ce qui concerne les échéances. J’ai des inquiétudes similaires au sujet du projet de loi. De plus, vous n’avez pas mentionné — mais je pense que vous en êtes conscient — qu’on a refusé le renvoi de cette affaire à la Cour suprême. Par conséquent, il y a un manque d’uniformité dans le travail des agents des services frontaliers d’un bout à l’autre du pays. Selon moi, il serait très important d’appliquer une approche pancanadienne, une approche normalisée que nous pourrions facilement faire connaître à nos partenaires américains et d’ailleurs.

Alors, malgré notre frustration à l’égard de la lenteur avec laquelle ce projet de loi a franchi les étapes pour se rendre au Sénat, convenez-vous que, dans l’intérêt des agents des services frontaliers qui essaient d’accomplir leur travail, nous devrions procéder à un examen exhaustif et ne pas ralentir intentionnellement le processus sous prétexte que nous ressentons de l’insatisfaction à l’égard du gouvernement?

Le sénateur Wells : Je vous remercie, sénatrice Boniface. Parmi les gens qui sont près de moi et que je conseille, personne ne ralentira ce processus. Selon moi, il faut régler ce dossier le plus tôt possible, avec la rigueur nécessaire pour protéger les Canadiens.

L’honorable Lucie Moncion : Sénateur Wells, vous avez brièvement parlé du mode avion. Votre téléphone est peut-être différent du mien, mais, sur le mien, il suffit de cliquer sur un bouton pour mettre l’appareil en mode avion. Cela signifie que les agents des services frontaliers peuvent facilement désactiver le mode avion et regarder ce qui se trouve sur votre téléphone. Vous avez peu parlé de ce point. À titre de porte-parole pour ce projet de loi, j’aimerais avoir vos commentaires à ce sujet.

Le sénateur Wells : Je vous remercie, sénatrice Moncion. Vous avez raison : cette fonction est facile à activer et à désactiver. Il est aussi facile de déverrouiller un téléphone au moyen de l’empreinte faciale, de l’empreinte digitale sur certains appareils, ou simplement du mot de passe.

À ma connaissance — cela a été dit, je crois, dans le discours qu’a prononcé la sénatrice Boniface à l’étape de la deuxième lecture et dans l’une des deux séances d’information qui m’ont été offertes par des fonctionnaires du ministère —, vous devez donner le mot de passe qui permet de déverrouiller votre téléphone. C’est une exigence. Si vous choisissez de ne pas donner votre mot de passe, l’Agence des services frontaliers du Canada a le droit de prendre le téléphone et de le déverrouiller en utilisant les méthodes à sa disposition.

Je ne me souviens pas du terme exact, mais les gens de l’agence m’ont dit avoir pour politique de faire une recherche dans le contenu du téléphone seulement en mode non connecté. C’est ce que j’appelle le mode avion et, oui, il est facile de le désactiver. Un agent qui le fait va toutefois à l’encontre de la politique de l’agence, comme cela s’est produit dans mon cas. En fait, je n’avais même pas activé le mode avion parce que j’ignorais avoir cette option. Je crois que les Canadiens ont le droit fondamental d’être informés qu’ils ont cette option, notamment au titre de la politique. La loi, par contre, ne le prévoit peut-être pas.

Vous avez raison : désactiver le mode avion est simple, mais, selon la politique — à ce qu’on m’a dit —, une fouille doit être menée sans connectivité. Désactiver le mode avion est très simple et peut-être que, si nous amendons le projet de loi, la loi pourrait exiger qu’ils soient informés. Je pense que cet amendement mérite d’être considéré pour la protection des droits des Canadiens.

L’honorable Bev Busson : Sénateur Wells, lorsque vous avez prononcé votre discours sur le projet de loi, vous avez parlé du délai proposé par le gouvernement et vous avez également, je crois, qualifié d’ignobles et de révoltants certains des crimes dont nous parlons aujourd’hui.

Je pense que l’adage « mieux vaut tard que jamais » s’applique peut-être ici. Certes, vous dites qu’il est difficile d’établir un juste équilibre, mais ne seriez-vous pas d’accord pour dire que le projet de loi devrait être renvoyé immédiatement au comité, pour qu’on discute et débatte de cet équilibre, en acceptant que, dans l’intervalle, il y ait des victimes innocentes, comme vous les avez appelées, qui sont le sujet de toute cette discussion?

(1520)

Le sénateur Wells : Merci, sénatrice Busson. Vous soulevez un très bon point. Cette mesure législative doit être prise le plus rapidement possible. Je ne veux pas dire que cela aurait pu être fait il y a 18 mois, mais cela aurait dû être fait il y a longtemps. Je ne vois aucune raison de ralentir le processus visant à renvoyer le projet de loi au comité.

Bien entendu, nous avons tous le droit de nous exprimer à ce sujet et cela pourrait être long. Je ne sais pas si certains des collègues de mon caucus veulent prononcer un discours sur ce projet de loi. Je ne crois pas — on ne me l’a pas indiqué —, mais renvoyons cette mesure au comité, qui pourra l’examiner au titre qu’il mérite. C’est un enjeu important. Ce n’est pas banal. Dans la situation actuelle, le pire scénario se produit parfois. Je n’ai aucune raison de vouloir retarder cette mesure ni de la voir retardée.

La sénatrice Busson : Sénateur Wells, vous avez parlé du fait que votre iPhone a déjà été fouillé et que les agents avaient trouvé des relevés de votre carte Visa. J’aimerais que vous nous disiez si vous vous êtes senti absolument lésé quand ils ont trouvé ces relevés sur votre iPhone. En outre, comment vous sentez-vous quand ils fouillent votre valise de fond en comble?

Le sénateur Wells : Sénatrice Busson, ma vie est monotone. Il est vrai que j’ai senti une atteinte à ma vie privée, puisqu’il s’agissait de mes relevés bancaires. J’effectue mes transactions bancaires à l’aide de mon téléphone. J’ai ressenti une atteinte à ma vie privée, mais je me suis dit que c’était la façon de procéder dans un pays libre. En outre, je n’avais rien à cacher.

D’ailleurs, sur le formulaire de déclaration, j’ai indiqué que j’avais plus que le montant. Lorsqu’on occupe une position officielle comme la nôtre, il est inutile de tenter de contourner la loi, parce que les manchettes ne diront pas qu’un homme a tenté de contourner la loi, mais qu’un sénateur a tenté de le faire.

Il y a de nombreuses années, j’ai ressenti une atteinte à ma vie privée. Dans les années 1970, ma voiture était garée dans mon entrée et les portes étaient verrouillées. Le lendemain matin, quand je me suis réveillé, on s’était introduit dans ma voiture pour voler mes cassettes. Il ne s’agissait pas de cartouches à huit pistes, sénatrice Simons. Il s’agissait de bonnes vieilles cassettes ordinaires.

Deux semaines plus tard, en retournant à ma voiture, j’ai trouvé une de ces cassettes sur le siège du passager. On m’avait rapporté une cassette.

Une voix : Ils n’ont pas aimé cette cassette.

Le sénateur Wells : Attendez. C’est peut-être vrai. C’est à ce moment-là que j’ai senti qu’on portait atteinte à ma vie privée, lorsque j’ai été la cible d’un geste posé sans motif raisonnable. Ils ne sont pas venus pour voler quelque chose. Ils l’avaient déjà fait. J’ai senti qu’on portait atteinte à ma vie privée parce qu’il n’y avait aucun motif raisonnable de poser ce geste, et je pense que c’est un aspect essentiel de ce débat.

Le sénateur Oh : Ils n’ont pas trouvé de lecteur.

[Français]

L’honorable Renée Dupuis : Sénateur Wells, lors de votre intervention, vous avez dit qu’un nouveau critère était introduit au moyen du projet de loi S-7; c’est le cas.

Vous avez aussi renvoyé à d’autres interventions de sénateurs et de sénatrices qui reprochent à ce projet de loi l’introduction d’un nouveau concept. Ne diriez-vous pas que l’étude que vous souhaitez voir faite en comité — et je pense qu’il est important de faire cette étude — ne doit pas porter sur l’introduction ou non d’un nouveau concept?

Le problème n’est pas que ce soit un nouveau concept, parce que c’est la Cour d’appel qui l’a elle-même introduit. Quand la Cour d’appel dit que le concept existant est peut-être trop sévère pour la situation qu’on veut couvrir, le législateur pourrait privilégier un concept moins sévère et qui crée moins d’obligations pour les agents des douanes.

Le fait que ce soit un nouveau concept est donc dans l’ordre des choses. Ne devrait-on pas plutôt tenter de savoir si le concept retenu par le gouvernement dans son projet de loi est approprié sur le plan juridique pour la situation qu’on veut couvrir?

Il ne faut pas non plus créer d’épouvantails. Comme de nouveaux concepts sont souvent inclus dans les nouvelles lois, ne faudrait-il pas étudier la question à savoir si ce concept, qui a été retenu par le gouvernement, est approprié dans le contexte qu’on veut couvrir dans cette loi?

[Traduction]

Le sénateur Wells : Sénatrice Dupuis, vous avez tout à fait raison; c’est ce que la Cour d’appel a dit. Ce qui me pose problème, c’est le nouveau concept choisi par le gouvernement, les « préoccupations générales raisonnables », car j’estime qu’avec ce terme, il n’y aurait pas de limite à ce qui pourrait justifier un examen. Nous sommes censés être rassurés lorsqu’on nous dit que l’ASFC prendra des notes. Or, selon moi, les notes serviront certainement à protéger l’ASFC, et non la personne visée par l’examen. Les notes diront que la personne semblait nerveuse, qu’elle ne semblait pas venir du Canada, qu’elle était en sueur, qu’elle était agitée, etc.

Exactement comme vous, je crois que le critère des préoccupations générales raisonnables, le nouveau concept présenté par le gouvernement, probablement sur la recommandation de l’ASFC, est un seuil trop bas pour assurer la protection du droit à la vie privée qui devrait être garanti à tous les Canadiens respectueux des lois.

L’honorable Paula Simons : Le sénateur accepterait-il de répondre à une question?

Le sénateur Wells : Oui.

La sénatrice Simons : Merci beaucoup. Il est extrêmement difficile de parler des questions liées à la pornographie juvénile parce qu’il s’agit d’un crime et d’une forme d’exploitation ignobles. L’exploitation sexuelle des enfants en ligne est un fléau au Canada. Personne au Sénat ne la défend.

Ce qui me préoccupe, c’est une question d’équilibre et de volume. Tous les jours au Canada, des milliers de fichiers de pornographie juvénile sont achetés, vendus et échangés en ligne. La quantité disponible en ligne est pratiquement infinie.

Pourtant, au cours des cinq dernières années, plus précisément du 5 mai 2017 au 5 mai 2022, l’Agence des services frontaliers du Canada n’a saisi que 392 fichiers de pornographie juvénile sur des supports numériques; on peut penser aux téléphones cellulaires et aux ordinateurs, aux disques durs, aux clés USB, aux CD et aux DVD, ce genre de choses. Nous parlons donc de 392 articles saisis en cinq ans, et tous ne se trouvaient pas sur des téléphones cellulaires et des ordinateurs. En fait, une petite proportion se trouvait probablement sur des téléphones et des ordinateurs. Je n’en suis pas certaine.

Il me semble que nous violons potentiellement les libertés civiles de tous les voyageurs qui vont à l’étranger pour colmater un très petit trou dans un barrage étant donné que des millions de fichiers de pornographie juvénile déferlent sur Internet. Je voudrais savoir si vous êtes d’avis que l’empiétement sur nos libertés civiles est suffisamment circonscrit compte tenu de l’infime quantité de fichiers de pornographie juvénile effectivement détectée de cette façon.

Le sénateur Wells : Il s’agit d’une excellente question. Autrefois, les gens qui voulaient importer de la pornographie juvénile — ce qui est un acte odieux, nous en convenons tous — mettaient ces images dans une chemise, un classeur, un album, un magazine ou quelque chose du genre. Cependant, comme vous l’avez dit, maintenant, la vaste majorité — et je ne saurai trop insister sur le terme « vaste » — ne se trouve pas dans les pages d’un ouvrage, mais est stockée en ligne, sur un nuage, dans des pièces jointes de documents seulement accessibles par Internet.

Il y a une façon d’empêcher les gens de traverser la frontière canadienne avec ces images stockées sur leurs appareils numériques. Il faut fouiller tout le monde et permettre à l’Agence des services frontaliers du Canada d’avoir pleinement accès à tous les appareils. Nous savons que ce n’est pas raisonnable. Ce serait comme dire que nous savons que nous pouvons empêcher les accidents de la route en imposant une limite de vitesse de 5 kilomètres à l’heure. Ce n’est guère pratique. Les libertés dont nous jouissons, en particulier le droit à la vie privée, qui est fondamental dans notre société et au Canada, sont importantes.

(1530)

Il est également important d’empêcher ce matériel de traverser la frontière, mais vous avez raison. C’est comme colmater un trou dans une digue avec un doigt, car même si vous mettez le doigt sur le trou, l’eau continuera de s’écouler par-dessus. C’est ce qui se passe. Je ne pense vraiment qu’aux Canadiens qui entrent au pays, et non aux autres. De toute évidence, cela ne me préoccupe pas autant que les droits des Canadiens à la vie privée. Je pense qu’il est important de trouver un juste milieu et de ne pas se limiter au strict minimum, soit aux « préoccupations générales raisonnables ».

Vous soulevez un excellent point. Nous nous concentrons sur la petite monnaie alors que les dollars affluent.

L’honorable Salma Ataullahjan : Sénateur Wells, saviez-vous que même si votre téléphone est en mode avion et que la fonction de localisation n’est pas activée, ils sauront où vous êtes allé et combien de temps vous avez passé à divers endroits?

Le sénateur Wells : Oui, je sais que les téléphones suivent et stockent beaucoup de ces informations. Je sais que toutes les données géographiques sur nos activités sont suivies et stockées. La politique qui exige que les appareils soient mis en mode avion ou déconnectés, s’il s’agit bien de la politique, est raisonnable. Bien sûr, vous devez déclarer d’où vous venez. Il peut sembler évident d’obtenir cette information à partir de votre carte d’embarquement, mais je suis conscient que d’autres renseignements peuvent être tirés des vos appareils personnels déconnectés.

L’honorable Ratna Omidvar : Le sénateur Wells accepterait-il de répondre à une autre question?

Le sénateur Wells : Bien sûr, sénatrice, je vous en prie.

La sénatrice Omidvar : Sénateur Wells, en vérité, j’aurais dû poser cette question à la marraine du projet de loi, mais j’ai manqué l’occasion. Je ne me souviens plus exactement ce qui s’est passé, mais peut-être pourriez-vous m’aider à comprendre la chose suivante.

Avec ces nouveaux pouvoirs de procéder à des fouilles en cas de préoccupations générales raisonnables, que dit le projet de loi sur la surveillance des agents de l’ASFC? Devons-nous simplement attendre le projet de loi sur la surveillance indépendante qui devrait arriver à un moment donné?

Le sénateur Wells : C’est une bonne question. Dans mon discours, j’avais un paragraphe à ce sujet, mais je l’ai laissé de côté pour me concentrer sur la teneur du projet de loi. La question de la surveillance des agents de l’ASFC, qui est insuffisante, n’est pas abordée dans le projet de loi.

Cette question pourrait être posée en comité lors de la comparution des témoins de l’ASFC, ou peut-être que la sénatrice Boniface en saura davantage à ce sujet à l’étape de la troisième lecture? C’est en effet une question importante.

L’honorable David Richards : Sénateur Wells, je me demande ce qu’est un « indicateur raisonnable ». Auriez-vous la moindre idée de ce que cela peut être? C’est très subjectif pour les gardes-frontières. Pour les avoir vus à la tâche en Norvège et en Espagne, je sais ce que cela peut signifier. Parfois, ils ne sont pas très objectifs. Que serait un « indicateur raisonnable » au Canada?

Le sénateur Wells : Sénateur Richards, j’aimerais bien le savoir. Je sais que, dans son discours à l’étape de la deuxième lecture, jeudi dernier, la sénatrice Boniface a mentionné que ces agents sont des professionnels, qu’ils ont de l’expérience et qu’ils savent repérer les signes.

Je n’ai aucune expérience en la matière. Je ne saurais pas quels signes guetter. Un homme pourrait ne pas s’être rasé depuis trois jours, ne pas avoir pris de douche depuis quatre jours, être mal habillé et être simplement un citoyen modèle qui a eu une semaine difficile; des membres du clergé pourraient arriver à la frontière et porter leur col; un bel homme pourrait se présenter fraîchement rasé et propre, mais avoir dans ses appareils les pires choses imaginables. Je ne le sais pas. Des professionnels le sauraient, mais pas moi.

(Sur la motion du sénateur Dalphond, le débat est ajourné.)

[Français]

Projet de loi d’exécution de la mise à jour économique et budgétaire de 2021

Deuxième lecture

L’honorable Clément Gignac propose que le projet de loi C-8, Loi portant exécution de certaines dispositions de la mise à jour économique et budgétaire déposée au Parlement le 14 décembre 2021 et mettant en œuvre d’autres mesures, soit lu pour la deuxième fois.

— Honorables sénatrices et sénateurs, je suis ravi de prendre la parole aujourd’hui en tant que parrain du projet de loi C-8, Loi portant exécution de certaines dispositions de la mise à jour économique et budgétaire déposée au Parlement le 14 décembre 2021 et mettant en œuvre d’autres mesures.

En même temps, mon intervention aujourd’hui marque également la première allocution officielle que je prononce au Sénat depuis mon assermentation en novembre dernier. Permettez-moi donc de prendre quelques minutes pour vous parler de mes motivations à me joindre au Sénat avant d’aborder les grandes lignes de ce projet de loi et de partager avec vous quelques réflexions sur la situation économique du pays.

Tout d’abord, il semble que le déclenchement de crises mondiales éveille en moi un appel irrésistible à travailler à Ottawa pour me mettre au service des Canadiens. En effet, ma première expérience de travail dans la capitale nationale remonte au début de la crise financière de 2008-2009. Alors que le système financier mondial souffrait de l’éclatement de la bulle immobilière américaine, je suis venu ici en septembre 2008 pour rencontrer le greffier du Bureau du Conseil privé de l’époque, M. Kevin Lynch. Je me suis laissé convaincre de quitter mes fonctions d’économiste en chef de la Banque Nationale pour devenir un conseiller spécial au ministère des Finances.

[Traduction]

Vous savez quoi? Je ne l’ai jamais regretté. Au contraire, j’en ressentais une énorme satisfaction, même si les journées pouvaient être aussi longues que la crise était grave.

C’était tout un privilège pour moi de côtoyer régulièrement le ministre des Finances de l’époque, le regretté Jim Flaherty, le gouverneur de la Banque du Canada, Mark Carney, et l’actuel gouverneur de la Banque du Canada, Tiff Macklem, qui était alors sous-ministre délégué au ministère des Finances.

J’ai également eu le grand honneur d’être choisi par le Bureau du Conseil privé comme représentant officiel du Canada au sein de l’un des quatre groupes de travail du G20 créés lors du sommet du G20 de Washington. Je veux donc profiter de ma tribune pour remercier publiquement l’ancien premier ministre du Canada, le très honorable Stephen Harper, ainsi que l’honorable Jim Flaherty de la confiance qu’ils m’ont accordée et de l’occasion unique qui m’a été offerte de représenter le Canada lors des premiers travaux pour le sommet des dirigeants du G20.

[Français]

Honorables sénateurs, alors que j’occupais le poste de gestionnaire de portefeuille et d’économiste en chef au sein du Groupe financier Industrielle Alliance, le déclenchement de cette crise sanitaire mondiale au printemps 2020 et ses impacts sans précédent sur les finances publiques ont à nouveau éveillé en moi ce désir irrésistible de me rendre à Ottawa, mais comment faire, cette fois-ci?

Ma charmante épouse, Jocelyne Duval, ma partenaire de vie depuis plus de 45 ans, et nos trois enfants m’ont alors convaincu de soumettre ma candidature pour devenir sénateur en remplissant le fameux formulaire prévu à cet effet sur le site Web du Sénat, puisqu’il y avait trois postes à pourvoir dans la région du Québec.

Quelle joie et quelle fierté j’ai éprouvées à la fin de juin 2021 lorsque j’ai reçu le fameux appel téléphonique du premier ministre du Canada qui m’a confirmé que ma candidature avait été retenue par le Comité consultatif indépendant sur les nominations au Sénat pour me nommer sénateur du Québec. Je tiens à remercier le très honorable Justin Trudeau de sa confiance et de cette occasion unique de me retrouver ici parmi vous, et cela, au service des Canadiens. Je tiens également à remercier mes trois répondants, soient Mme Sophie D’Amours, rectrice de l’Université Laval, M. Rémi Quirion, scientifique en chef du Québec, et l’honorable Jean Charest, ex-premier du Québec, d’avoir appuyé ma candidature et soumis leurs lettres de recommandation au Comité consultatif indépendant.

(1540)

Honorables sénateurs, je tiens également à vous remercier tous de votre chaleureux accueil ici, au Sénat. Les discours de bienvenue des leaders des quatre groupes reconnus dans cette enceinte, ainsi que le discours que le sénateur Marc Gold a prononcé le jour de mon assermentation, resteront à jamais gravés dans ma mémoire, et je les en remercie. J’adresse un merci tout spécial à mon cher parrain, le sénateur Dennis Dawson, pour ses sages conseils et son aide précieuse depuis ma nomination au Sénat.

Chers collègues, je crois beaucoup à l’utilité du Sénat comme composante de notre Parlement et contrepoids à la Chambre des communes, pour protéger les droits des minorités ou des groupes sous-représentés de notre société. Bien que notre responsabilité première soit de porter un second examen attentif sur les projets de loi du gouvernement, je suis enthousiaste à l’idée de lancer moi aussi, un jour, ma propre initiative législative.

[Traduction]

D’ici là... Pour être parfaitement honnête, je ne connais pas très bien la procédure qui régit la Chambre haute. Même si j’ai à mon actif près de quatre ans d’expérience en tant que politicien à l’Assemblée nationale du Québec, je suis conscient que j’ai encore beaucoup à apprendre. Nul doute que c’est la raison pour laquelle j’ai accepté de parrainer le projet de loi C-8. Après tout, le vieil adage dit : « C’est en se jetant à l’eau qu’on apprend à nager. »

[Français]

Personnellement, je crois beaucoup à l’idée de cette deuxième Chambre organisée de manière non partisane et indépendante du parti formant le gouvernement. Comme je l’ai mentionné au premier ministre canadien, le très honorable Justin Trudeau, lors de notre conversation téléphonique l’été dernier, je ne serais sans doute pas ici, avec vous, s’il n’y avait pas eu de réforme en 2015.

Comme j’avais déjà vécu l’expérience parlementaire à l’Assemblée nationale, je n’avais pas envie de retomber dans des débats partisans. Chers collègues, après à peine quelques mois parmi vous, je préfère, et de loin, le ton des débats généralement sereins et respectueux qui sont tenus dans cette Chambre à celui que l’on observe à l’autre endroit, comme le veut l’expression consacrée. Une simple comparaison entre les deux Chambres du Parlement canadien quant à la nature des questions posées aux divers ministres du gouvernement en sont une parfaite illustration.

Parlant d’indépendance face au pouvoir exécutif, laissez-moi aussi exprimer publiquement mon soutien à ma collègue la sénatrice Marshall pour ce qui est de la nécessité de revoir éventuellement les courts délais imposés au Comité sénatorial permanent des finances nationales pour approuver les dépenses principales et supplémentaires du gouvernement. On se sent vraiment bousculé. Le fait qu’un comité sénatorial ait à peine quelques jours pour approuver des dizaines de milliards de dollars en dépenses du gouvernement me semble tout simplement déraisonnable et peu respectueux à l’égard de notre mandat de second examen de la gestion des finances publiques.

À titre de membre du comité directeur du Comité sénatorial permanent des finances nationales, ma collègue sait qu’elle pourra compter sur mon appui dans la recherche de solutions constructives et non partisanes pour mieux assumer notre rôle de sénateurs.

[Traduction]

Je crois fermement au travail d’équipe et je compte sur votre collaboration pour m’aider à assumer mes nouvelles responsabilités. Comme le dit l’expression : « Faute de grives, on mange des merles. » Par conséquent, n’hésitez pas à me faire des suggestions pour que je puisse m’améliorer dans l’exercice de mes fonctions.

[Français]

Honorables sénatrices et sénateurs, je sais que la barre est haute pour moi à titre de nouveau sénateur du Québec et 11e représentant de la division sénatoriale de Kennebec. En effet, mon prédécesseur était l’honorable Serge Joyal, avec qui j’ai eu l’occasion d’échanger quelques mots tout juste après ma nomination et que je salue au passage.

Soyons clairs. Même si j’ai l’honneur de lui succéder pour représenter cette division sénatoriale au Québec, je n’aurai jamais la prétention de le remplacer dans cette enceinte, puisque je n’ai ni ses compétences juridiques ni même sa maîtrise de l’art oratoire. Néanmoins, en m’inspirant de son ouvrage publié en 2005, qui s’intitule Protéger la démocratie canadienne, et de ses actions pour protéger les droits des minorités et défendre le sort de la langue française, j’aspire à contribuer, de façon constructive et à ma façon, aux travaux du Sénat.

Chers collègues, je ne suis pas un spécialiste de la santé publique et je ne ferai pas de prédictions sur la durée de cette pandémie ou sur le nombre de variants subséquents potentiels qui pourraient survenir. Tout au long de ma carrière d’économiste, je me suis plutôt intéressé à la santé de nos finances publiques et à la façon dont nos banques centrales conduisaient leurs politiques monétaires. Sur ce dernier point, ne soyez pas surpris si je suis très critique et si je m’exprime fortement ces temps-ci sur la place publique sur la façon dont nos banques centrales se sont comportées au sortir de cette pandémie pour contrôler cette poussée de l’inflation.

La Banque du Canada et sa contrepartie, la Réserve fédérale américaine, ont gardé le pied sur l’accélérateur beaucoup trop longtemps avec leurs assouplissements quantitatifs en 2021. De plus, l’été dernier, elles ont fait une mauvaise lecture de la situation avec leur soi-disant inflation transitoire et surtout, elles ont trop tardé à se mettre en branle au début de l’année avec la hausse des taux d’intérêt. Comme l’illustre la chute marquée des marchés financiers depuis le début de l’année, on assiste à une perte de confiance des investisseurs en la capacité de nos banques centrales de contrer l’inflation sans engendrer de récession. Sans vouloir ici accréditer toutes les décisions prises par les différents ordres de gouvernement du pays, la responsabilité première de notre banque centrale est de maintenir la stabilité des prix, et non de lutter contre les inégalités sociales. Traditionnellement, la politique budgétaire et fiscale est nettement mieux placée que la politique monétaire pour cibler une reprise inclusive.

À cet égard, avant d’aborder plus en détail le projet de loi C-8, permettez-moi de revêtir mon habit de spécialiste des finances publiques, puisque j’ai participé, pratiquement chaque année depuis 1995, aux consultations budgétaires du ministère des Finances du Canada auprès des économistes en chef du pays.

C’est une tradition qui a été lancée par le très honorable Paul Martin à l’époque. J’imagine que certains d’entre vous pourraient s’inquiéter des nouvelles initiatives fiscales et budgétaires prévues par le projet de loi C-8, qui découle de la mise à jour budgétaire du 14 décembre dernier. C’est tout à fait naturel et compréhensible. Après tout, le Plan d’intervention économique du Canada pour répondre à la COVID-19 a engendré des déficits budgétaires records et un bond spectaculaire de la dette du gouvernement fédéral depuis deux ans.

À l’instar de l’ex-gouverneur de la Banque du Canada, M. Stephen Poloz, je suis d’avis que l’on peut difficilement accuser un pompier d’avoir utilisé trop d’eau pour éteindre un incendie. En effet, tous les gouvernements des pays occidentaux ont dû intervenir de façon massive et enregistrer de gros déficits pour éviter que la contraction brusque de l’économie du printemps 2020 ne dégénère en dépression économique semblable aux années 1930. D’ailleurs, comme le gouvernement fédéral dispose d’une marge de manœuvre financière nettement plus considérable que les provinces, il n’est pas surprenant que ce soit le gouvernement fédéral qui a fait preuve de leadership et a soutenu les entreprises et les travailleurs canadiens. Qu’on se le dise, make no mistake, tout cela a été rendu possible en raison de l’assainissement des finances publiques qui a été mis en place au cours des deux décennies précédentes par d’autres gouvernements.

Quel est l’état de la situation aujourd’hui? Il est juste d’affirmer que le ratio de la dette par rapport au PIB s’est détérioré durant cette pandémie, passant de 30 % environ à 46,5 % au 31 mars dernier.

(1550)

En se basant sur les chiffres publiés récemment par le directeur parlementaire du budget, on peut constater que le service de la dette fédérale représente aujourd’hui à peine 7 cents par dollar de recettes budgétaires, comparativement à 15 cents par dollar avant la crise financière de 2009, ce qui est sans commune mesure avec les 48 cents par dollar du début des années 1990.

Je me souviens qu’en 1995, le Canada était menacé d’être placé sous la tutelle du Fonds monétaire international, pendant qu’on parlait d’une crise potentielle. C’est à la suite de ces événements que le ministre des Finances, Paul Martin, s’est occupé de la situation. D’ailleurs, l’agence de notation américaine Standard & Poor’s continue d’accorder la cote AAA au Canada, qui est l’un des rares pays du G7 à avoir maintenu cette excellente cote.

[Traduction]

Chers collègues, j’estime que le projet de loi C-8 sera utile et améliorera le sort de nombreux Canadiens. Si ce n’était pas le cas, je n’aurais pas accepté de le parrainer.

Évidemment, vous pouvez compter sur ma vigilance d’économiste et de sénateur non partisan et indépendant du pouvoir politique en place pour surveiller ce qui se passera dans les prochaines années. Après tout, avant de se lancer dans de nouveaux programmes sociaux ou dans un programme national de revenu garanti, le pays doit accélérer la création de richesse et réellement remédier aux causes du faible investissement des entreprises si nous voulons réaliser nos objectifs de transition énergétique.

Voilà qui devrait d’ailleurs servir de principe directeur à nos dirigeants. Nous devons éviter de transférer aux générations futures le fardeau de la consommation de biens et de services publics de la génération actuelle.

Comme tous les sénateurs, j’appuie moi aussi une société plus juste et plus inclusive. Il ne fait aucun doute que le Sénat sera appelé à étudier des projets de loi à cet effet dans les mois et les années qui viennent.

Par contre, si nous perdons de vue la création de richesse, nous risquons un jour de ne plus avoir assez de richesse à distribuer et d’être vertement critiqués par nos enfants et nos petits-enfants. Je crois que ce que la Grèce a vécu est une leçon que nous devons tous retenir.

[Français]

Honorables sénatrices et sénateurs, j’entame maintenant la seconde partie de mon allocution, qui porte plus spécifiquement sur le projet de loi C-8, qui a pour but de mettre en œuvre les mesures figurant dans la mise à jour économique et budgétaire déposée en décembre dernier ainsi que d’autres mesures particulières.

La majorité des initiatives de nature fiscale ou budgétaire contenues dans le projet de loi C-8 résultent du Plan d’intervention économique du Canada pour répondre à la COVID-19. Il s’agit ici de mesures ciblées destinées à venir en aide aux provinces, aux agriculteurs, aux entreprises et aux travailleurs.

Le projet de loi contient également un engagement précédent du gouvernement fédéral pour tenter de freiner la spéculation immobilière provenant de l’étranger. Au cours des prochaines minutes, je ferai de mon mieux pour vulgariser le langage parfois très opaque utilisé dans ce projet de loi.

Chers collègues, j’aimerais d’abord parler des quatre modifications que le projet de loi C-8 propose d’apporter à la Loi de l’impôt sur le revenu.

D’abord, comme nous le savons tous, il a été établi qu’une ventilation et une filtration d’air adéquates constituent des moyens importants de réduire la propagation de la COVID-19. L’offre d’un crédit d’impôt remboursable aux petites entreprises permettrait à celles-ci d’investir dans une meilleure qualité de l’air. Afin d’encourager les petites entreprises à investir dans la ventilation et la filtration de l’air, le projet de loi C-8 propose d’introduire un crédit d’impôt remboursable de 25 % sur les dépenses admissibles engagées pour l’amélioration de la qualité de l’air, ce qui permettrait d’accroître l’entrée d’air extérieur ou d’améliorer l’assainissement et la filtration de l’air dans les propriétés commerciales.

Les entreprises admissibles recevraient le crédit d’impôt à l’égard des dépenses admissibles allant jusqu’à 10 000 $ par emplacement, avec une limite de dépenses maximale de 50 000 $ pour l’ensemble des emplacements admissibles. Dans le but d’encourager les entreprises à agir rapidement, le crédit d’impôt pourrait être réclamé relativement aux dépenses admissibles engagées entre le 1er  septembre 2021 et le 31 décembre 2022.

Deuxièmement, les dynamiques collectivités rurales et nordiques du Canada sont confrontées à des défis uniques quant à leur croissance économique et à leur résilience. L’éloignement d’un grand nombre de collectivités nordiques rend les voyages coûteux pour celles-ci, y compris les voyages essentiels pour les études et les soins médicaux. À l’heure actuelle, les habitants de régions éloignées qui ne bénéficient pas d’avantages relatifs aux voyages tirés de l’emploi ne peuvent pas déduire les dépenses de voyage au titre des déductions pour les habitants de régions éloignées. Par conséquent, ils ne bénéficient pas du même traitement fiscal favorable que ceux qui reçoivent des avantages relatifs aux voyages tirés de l’emploi. Le projet de loi C-8 propose de modifier la Loi de l’impôt sur le revenu et le Règlement de l’impôt sur le revenu afin d’élargir l’accès à la composante voyage des déductions pour les habitants des régions éloignées aux particuliers qui ne profitent pas d’avantages relatifs aux voyages tirés de l’emploi.

Troisièmement, pendant la pandémie, les enseignants du Canada ont fait preuve de beaucoup de résilience et ont soutenu des initiatives afin de s’assurer que leurs élèves continuent de recevoir une éducation de haute qualité. Souvent, ces efforts incluaient l’achat de fournitures scolaires qu’ils payaient de leur propre poche. Dans le but d’appuyer les enseignants et les éducateurs de la petite enfance, le projet de loi C-8 propose de modifier la Loi de l’impôt sur le revenu et le Règlement de l’impôt sur le revenu afin d’augmenter le taux de crédit remboursable des fournitures scolaires admissibles, qui passerait de 15 % à 25 %, permettre aux éducateurs de réclamer le remboursement des coûts des fournitures qu’ils utilisent lorsqu’ils enseignent à l’extérieur de l’école et ajouter certains dispositifs électroniques à la liste des dépenses admissibles. La bonification du crédit d’impôt offrira un important soutien aux enseignants et aux éducateurs de la petite enfance, pour leur permettre d’aider les enfants dans le cadre de leur apprentissage dans le difficile milieu de l’enseignement d’aujourd’hui.

Quatrièmement, en reconnaissant qu’un grand nombre d’agriculteurs utilisent le gaz naturel et le gaz propane dans le cadre de leurs activités, le projet de loi C-8 propose de rembourser, au moyen de crédits d’impôt remboursables, les produits issus de la tarification de la pollution directement aux entreprises agricoles dans les provinces où la redevance fédérale sur les combustibles s’applique, c’est-à-dire l’Ontario, le Manitoba, la Saskatchewan et l’Alberta, et ce, à compter de l’exercice 2021-2022. Nous estimons que, pour l’exercice 2021-2022, les agriculteurs recevraient 100 millions de dollars issus de la redevance sur les combustibles. Les remboursements des années futures seraient plus élevés en fonction de l’augmentation de la taxe sur le carbone.

[Traduction]

Chers collègues, le projet de loi C-8 prévoit également plusieurs autres mesures importantes pour répondre à des problèmes urgents. Par exemple, l’abordabilité du logement est devenue une préoccupation importante au pays, les prix des maisons ayant bondi dans la plupart des régions. Le projet de loi C-8 vise à instaurer une nouvelle loi, la Loi sur la taxe sur les logements sous-utilisés, qui imposerait une nouvelle taxe de 1 % aux propriétaires de biens résidentiels canadiens dans certains cas, à compter de l’année civile 2022.

Cette nouvelle taxe permettra de s’assurer que les propriétaires non résidents et non canadiens, notamment ceux qui utilisent le Canada pour y accumuler passivement de la richesse sous forme d’habitation, paient leur juste part d’impôt au Canada.

(1600)

À compter de 2023, certains propriétaires de biens résidentiels au Canada seront tenus de produire une déclaration pour l’année civile précédente à l’égard de chaque bien résidentiel qu’ils possèdent. Dans cette déclaration, les propriétaires peuvent être admissibles à une exemption dans certains cas, par exemple lorsque la propriété est louée à long terme ou est occupée par son propriétaire à titre de résidence principale.

Il convient de noter que les citoyens canadiens, les résidents permanents du Canada et certaines entités canadiennes ne seraient pas assujettis à la taxe et ne seraient pas tenus de produire de déclaration annuelle.

[Français]

Le Compte d’urgence pour les entreprises canadiennes (CUEC) a joué un rôle essentiel pour de nombreuses petites entreprises qui étaient en difficulté financière en raison de la pandémie. Ce compte offrait des prêts sans intérêt assortis d’une radiation partielle, dont près de 900 000 entreprises ont pu bénéficier.

En janvier, la date limite du remboursement des prêts du CUEC menant à une radiation partielle de ces prêts a été reportée du 31 décembre 2022 au 31 décembre 2023 pour tous les emprunteurs admissibles en règle. Les petites entreprises étaient admissibles à un prêt sans intérêt pouvant atteindre 60 000 $, dont 20 000 $ peuvent être radiés si les prêts sont remboursés au plus tard le 31 décembre 2023.

Le projet de loi C-8 fixerait un délai de prescription de six ans pour toute dette due dans le cadre du programme, ce qui permettrait de garantir que les détenteurs de prêt du CUEC seraient traités de façon uniforme, peu importe l’endroit où ils vivent au Canada.

Cette période de restriction est harmonisée avec d’autres programmes de soutien liés à la COVID-19, comme ceux qui sont visés par la Loi sur les prestations canadiennes de relance économique. De plus, le projet de loi précise que la dette contractée dans le cadre du programme du CUEC peut être déduite des montants dus ou compensés par ceux-ci en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu.

La fixation d’un délai de prescription de six ans garantirait que les détenteurs de prêt du CUEC seraient traités de façon uniforme, peu importe l’endroit où ils vivent au pays. Le délai de prescription proposé offrirait une clémence maximale aux petites entreprises qui pourraient être contestées pour le remboursement de leurs prêts du CUEC.

[Traduction]

Plus tôt, j’ai parlé de l’importance d’une bonne ventilation intérieure pour réduire la propagation de la COVID-19. Le projet de loi C-8 propose un supplément de 100 millions de dollars au titre du Fonds pour une rentrée scolaire sécuritaire pour les provinces et les territoires afin de soutenir les projets d’amélioration de la ventilation dans les écoles.

Ce fonds de 2 milliards de dollars a aidé les provinces et les territoires à collaborer avec les conseils scolaires afin de répondre aux besoins en matière de santé et de sécurité de leurs élèves de manière à favoriser l’apprentissage en classe pendant la pandémie.

Le supplément au titre du fonds prolonge ce soutien en ciblant spécifiquement les projets d’amélioration de la ventilation afin de réduire la propagation du virus dans les écoles. Les provinces et les territoires disposeront d’une latitude raisonnable leur permettant d’utiliser les fonds alloués pour des projets d’amélioration de la ventilation qui répondent aux besoins de leurs écoles.

Parmi les exemples de projets d’amélioration, mentionnons la réparation ou le remplacement des systèmes de chauffage, de ventilation et de climatisation, l’amélioration de leur entretien pour en assurer le fonctionnement optimal, et d’autres interventions visant à accroître l’entrée d’air extérieur ou à améliorer l’assainissement de l’air, comme l’installation de fenêtres mobiles ou d’appareils mobiles de filtration de l’air.

Le financement sera accordé aux provinces et aux territoires en fonction de propositions décrivant les coûts globaux des projets proposés par chaque province ou territoire, jusqu’à concurrence du montant maximum qui leur a été alloué.

[Français]

Chers collègues, il n’est pas nécessaire, j’en suis convaincu, d’insister sur le fait que la vaccination est l’un des moyens de protection les plus efficaces contre la COVID-19, pour nous-mêmes, nos familles et nos communautés. De même, l’exigence d’une preuve de vaccination a contribué à accroître la sécurité des espaces intérieurs, des rassemblements publics et des déplacements.

Toutes les provinces et tous les territoires ont entrepris des travaux importants afin de veiller à ce que les Canadiens aient accès à une preuve canadienne de vaccination normalisée et que celle-ci soit compatible avec les exigences en matière de preuve de vaccination dans toutes les régions du pays. À cet égard, le projet de loi C-8 propose d’accorder au ministre de la Santé l’autorisation législative de verser des paiements d’un montant total pouvant atteindre 300 millions de dollars aux provinces et aux territoires pour les coûts associés à la mise en œuvre de programmes de preuve de vaccination contre la COVID-19 dans leur administration.

En outre, en raison de l’élargissement considérable des programmes de dépistage et de contrôle des provinces et des territoires, y compris la fourniture de tests de dépistage directement aux Canadiens, la demande de tests rapides a augmenté en réaction aux éclosions et à l’arrivée du nouveau variant Omicron l’automne dernier. Ces initiatives ont ouvert la voie à une nouvelle augmentation accrue du dépistage à grande échelle dans des milieux critiques comme les écoles, les refuges et les établissements de soins de longue durée, ainsi qu’à la mise en œuvre du dépistage à l’appui des mandats de vaccination.

Parallèlement à l’augmentation des cas en août 2021, les administrations ont commencé à mettre en œuvre des programmes de dépistage supplémentaires, y compris dans les écoles, et à accélérer le dépistage en série des personnes symptomatiques et asymptomatiques en milieu de travail. Cette augmentation de la demande est attribuable à des facteurs précis, notamment le maintien des activités dans les écoles et les lieux de travail, l’appui à la gestion des éclosions et des résurgences, y compris le risque de résurgence en raison de l’augmentation des activités intérieures et des rassemblements durant la période des Fêtes, ainsi que l’appui aux mandats de vaccination imposés par les gouvernements et le secteur privé et à la gestion des risques personnels. À cet égard, certaines provinces ont commencé la distribution de tests au grand public.

Le projet de loi C-8 propose d’accorder 1,72 milliard de dollars de plus au ministre de la Santé pour l’acquisition et la distribution de tests de détection rapide d’antigènes aux provinces, aux territoires ainsi que dans les milieux de travail.

[Traduction]

Enfin, chers collègues, il y a un autre élément dans le projet de loi dont j’aimerais parler. Le projet de loi C-8 vise également à modifier la Loi sur l’assurance-emploi pour ne pas pénaliser les travailleurs saisonniers qui auraient été admissibles à titre de prestataires saisonniers de l’assurance-emploi dans le cadre du projet pilote visant les travailleurs saisonniers, mais qui, en raison d’une conséquence imprévue du moment de la mise en place des mesures de soutien au revenu liées à la pandémie, n’ont pas pu bénéficier du programme.

[Français]

Honorables sénateurs, les mesures proposées dans le projet de loi C-8 dont j’ai parlé représentent des changements importants qui aideront les provinces et de nombreux Canadiens à traverser cette pandémie et qui contribueront également au redressement de l’économie

En conclusion, je tiens à remercier la vice-première ministre et ministre des Finances, l’honorable Chrystia Freeland, et le représentant du gouvernement au Sénat, le sénateur Gold, de m’avoir offert cette occasion de parrainer le projet de loi C-8.

Honorables sénatrices et sénateurs, je tiens surtout à vous remercier de votre indulgence, de votre compréhension et de votre flexibilité aujourd’hui en m’ayant permis de partager mes motivations à devenir sénateur avant de traiter plus en détail du projet de loi C-8.

Merci. Meegwetch.

[Traduction]

L’honorable Elizabeth Marshall : Honorables sénateurs, je tiens d’abord à remercier mon collègue pour ses observations au sujet du projet de loi et à le féliciter d’avoir prononcé son premier discours au Sénat. Ce sera un plaisir de travailler avec lui non seulement au Comité sénatorial des finances, mais aussi au Comité des banques.

Je joue aujourd’hui mon rôle de porte-parole pour le projet de loi C-8, Loi portant exécution de certaines dispositions de la mise à jour économique et budgétaire déposée au Parlement le 14 décembre 2021 et mettant en œuvre d’autres mesures. L’autre endroit a procédé à la première lecture le 15 décembre et à la troisième lecture le 14 mai. Le Comité permanent des finances de l’autre endroit a consacré trois réunions à ce projet de loi. Je reviens à une question que j’avais posée au sénateur Gold pour m’assurer que le Comité sénatorial des finances pourrait soumettre le projet de loi à un examen aussi approfondi que l’a fait l’autre endroit.

(1610)

Honorables sénateurs, la mise à jour économique de l’automne est habituellement présentée au milieu de l’année — il y en a une par année — et elle est suivie d’un projet de loi d’exécution. L’an dernier, le projet de loi C-14 mettait en œuvre les dispositions prévues dans la mise à jour économique de l’année précédente.

Le projet de loi à l’étude aujourd’hui comprend sept parties. Je ne ferai que quelques remarques préliminaires à propos de chaque partie avant que le Comité des finances ne procède à son examen.

Comme mon honorable collègue l’a mentionné dans son discours, la première partie du projet de loi modifie la Loi de l’impôt sur le revenu et le Règlement de l’impôt sur le revenu afin de créer deux nouveaux crédits d’impôt remboursables. Le premier est destiné aux entreprises admissibles et concerne les dépenses de ventilation admissibles visant à améliorer la qualité de l’air; le deuxième servira à retourner les produits de la redevance sur les combustibles aux entreprises agricoles dans les administrations assujetties au filet de sécurité fédéral. On entend par « administrations assujetties au filet de sécurité fédéral » les provinces qui n’ont pas instauré leur propre régime de taxe sur le carbone, c’est-à-dire l’Alberta, la Saskatchewan, le Manitoba et l’Ontario.

De plus, la partie 1 du projet de loi prévoit la bonification de deux autres programmes : la composante voyage de la déduction pour les habitants de régions éloignées et le crédit d’impôt pour fournitures scolaires, qui passera de 15 % à 25 %. C’est un crédit d’impôt remboursable. Ses critères d’admissibilité seront également élargis.

La partie 2 du projet de loi édicte la Loi sur la taxe sur les logements sous-utilisés. Je considère que c’est la partie principale du projet de loi. Elle consiste à instaurer une taxe annuelle de 1 % sur la valeur des immeubles résidentiels vacants ou sous-utilisés appartenant directement ou indirectement à des personnes non résidentes non canadiennes.

Je vais parler un peu de la loi et de ses dispositions, mais je veux juste avertir mes collègues que la loi est très complexe. Je l’ai parcourue et je crois avoir réussi à en extraire certains aspects. Je veux simplement vous les transmettre et attirer votre attention sur quelques problèmes du projet de loi.

Comme je l’ai dit, c’est la partie la plus complexe du projet de loi C-8 et c’est presque une loi à part entière. Cette partie fait 90 pages. Je pense qu’elle aurait dû être déposée à titre de projet de loi distinct plutôt que de faire partie d’un projet de loi omnibus. Tout le reste du projet de loi consiste à dépenser des fonds publics, mais la partie 2 est la seule qui implique de générer un revenu. Vu sa longueur et de sa complexité, elle aurait vraiment dû être étudiée sous la forme d’un projet de loi distinct.

Le gouvernement a initialement annoncé son intention d’instaurer cette taxe dans son Énoncé économique de l’automne 2020. À l’époque, le gouvernement avait dit viser l’usage improductif des logements canadiens appartenant à des non‑résidents et à des non‑Canadiens, pratique qui soustrait ces biens de l’offre de logements à l’échelle nationale. Par la suite, de plus amples détails ont été présentés dans le budget de 2021, qui proposait une taxe nationale de 1 % sur les biens immobiliers vacants ou sous-utilisés. Il y a aussi été question d’un processus de consultation destiné à offrir aux parties intéressées la possibilité de faire connaître leurs observations par rapport aux éléments de la taxe proposée. Cette consultation a eu lieu l’an dernier, du 6 août au 2 décembre.

Le ministre du Revenu national est responsable du projet de loi, qui comporte 40 sections. Une fois promulgué, il entrera en vigueur, ou sera réputé être entré en vigueur, le 1er janvier 2022. La loi proposée énonce des règles afin d’établir l’obligation des propriétaires à l’égard de cette taxe. Elle établit aussi des exigences en matière de déclaration et de production. Elle prévoit des dispositions d’application et d’exécution semblables à celles qui se trouvent dans d’autres lois fiscales. Elle apporte également des modifications corrélatives à d’autres lois, comme la Loi sur la gestion des finances publiques.

De façon générale, le projet de loi propose d’imposer une taxe annuelle de 1 % de la valeur d’un immeuble résidentiel situé au Canada qui appartient, directement ou indirectement, à des personnes qui ne sont ni citoyens ni résidents permanents du Canada, à moins que le propriétaire soit en mesure d’invoquer une des exemptions prévues dans la loi. En particulier, la loi ne s’applique pas à un propriétaire exclu ni à une personne qui est admissible à l’une des exemptions qui y sont prévues.

Le projet de loi définit un certain nombre de propriétaires exclus, le principal étant un particulier qui est citoyen canadien ou résident permanent, sauf s’il est un propriétaire de l’immeuble en sa qualité d’associé d’une société de personnes ou fiduciaire d’une fiducie.

Le projet de loi définit la notion de « propriétaire exclu » de telle manière qu’une personne ou un groupe de personnes pourrait être assujetti à la taxe ou non en changeant simplement la définition en question.

Comme je l’ai déjà dit, la deuxième catégorie de personnes qui pourraient ne pas avoir à payer la taxe comprend celles qui sont admissibles à une exemption. Le projet de loi contient un certain nombre d’exemptions précises, mais il y en a deux qui, à mon avis, seront les plus souvent utilisées. Il s’agit des immeubles qui servent de lieux de résidence habituelle au propriétaire ou à sa famille immédiate et ceux qui répondent au critère de 180 jours au cours d’une période d’occupation admissible.

En gros, les mesures législatives proposées prévoient une taxe pour toute personne qui, au 31 décembre, possède une propriété foncière au Canada, à moins qu’elle ne réponde à l’un des critères de « personne visée par règlement » ou à l’une ou l’autre des exceptions.

De plus, le projet de loi proposé précise ce qu’on entend par « immeuble résidentiel ». Cette définition énonce divers types de propriétés, notamment une maison individuelle, un duplex, un triplex, une maison jumelée ou en rangée et un logement en copropriété. Le gouvernement a vraiment englobé tout le monde et tout ce qui existe.

Donc, tous les propriétaires, sauf les personnes visées par règlement ou celles qui satisfont à l’une ou l’autre des exceptions, sont tenus de payer la taxe de 1 % applicable soit sur la juste valeur marchande, soit sur la valeur imposable de l’immeuble résidentiel, multipliée par le pourcentage de propriété de la personne. Le projet de loi indique aussi ce qu’on entend par « juste valeur marchande », « valeur imposable » et « pourcentage de propriété ».

Comme je l’ai mentionné, les mesures législatives proposées sont très complexes. Bien que j’ai essayé de faire un bref survol de leur contenu, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’un projet de loi fiscal. Quiconque aurait un doute sur l’incidence de ces mesures législatives dans leur vie devrait solliciter les conseils d’un fiscaliste et ne pas se fier à mes paroles aujourd’hui.

Le Comité des finances de la Chambre des communes a examiné le projet de loi C-8 et la « Loi sur la taxe sur les logements sous-utilisés ». Le Comité s’est questionné, entre autres, sur l’objectif du programme. L’objectif est-il d’augmenter les recettes fiscales ou de remettre à la disposition des Canadiens les logements vacants et sous-utilisés?

Lors des réunions du Comité des finances de l’autre endroit, l’accent a été mis sur la taxe comme source de recettes. Cependant, lorsque le gouvernement a annoncé son intention d’instaurer la taxe dans l’Énoncé économique de l’automne de 2020, on a ciblé l’usage improductif des logements, qui soustrait ces biens de l’offre de logements.

Les fonctionnaires de Finances Canada ont dit au cours des réunions ne pas être certains de l’impact de la taxe sur les logements inutilisés en raison du manque d’information sur les taux d’inoccupation du marché du logement. Ils ont toutefois estimé que la taxe générera des recettes d’environ 735 millions de dollars au cours des cinq prochaines années. Le budget de 2021 estime également que les recettes annuelles à percevoir au cours de chacune des quatre prochaines années seront d’environ 700 millions de dollars. Le directeur parlementaire du budget estime que la taxe rapportera environ 600 millions de dollars au cours des cinq prochaines années, avec des recettes estimées à 130 millions de dollars pour le présent exercice. Toutefois, le directeur parlementaire du budget a souligné le caractère incertain de certaines des hypothèses utilisées pour calculer l’estimation.

Lors d’une récente réunion du Comité sénatorial des banques, Peter Routledge, surintendant des institutions financières, a dit au comité que, chaque année, environ 250 000 ménages sont créés au Canada, alors qu’environ 200 000 à 210 000 maisons sont achevées, de sorte qu’il existe un écart entre l’offre et la demande. Il reste à voir si la taxe de 1 % sur les logements non utilisés permettra d’offrir plus de maisons pour combler ce manque.

Selon ce que l’ancien gouverneur de la Banque du Canada, Stephen Poloz, a dit au comité, la pénurie de logements est attribuable à la réglementation municipale. Plus précisément, ce sont des règles gouvernementales qui empêchent le secteur privé de résoudre bon nombre de nos problèmes.

Plusieurs autres questions ont été soulevées à l’égard de la taxe sur les logements inutilisés, lors de réunions du comité des finances de l’autre endroit. Par exemple, pourquoi a-t-on choisi un taux de 1 % plutôt que de 2 % ou de 0,5 %? A-t-on analysé le risque que des gouvernements d’autres pays prennent des mesures de rétorsion? Par exemple, bon nombre de citoyens des États-Unis ont une propriété au Canada, et l’imposition d’une taxe sur leur propriété pourrait entraîner une mesure semblable pour les propriétés de Canadiens aux États-Unis.

(1620)

Une autre question a été soulevée. Si le gouvernement cherche des recettes fiscales supplémentaires, pourquoi ne pas améliorer le régime de lutte contre le blanchiment d’argent et l’évasion fiscale au Canada? On s’est aussi demandé pourquoi le gouvernement fédéral s’aventure sur le terrain des impôts fonciers, alors que cela relève des administrations municipales.

La taxe sur les logements sous-utilisés préoccupe également les propriétaires canadiens. Un récent rapport financé par la SCHL recommande l’imposition d’une surtaxe progressive reportable annuellement sur la valeur des maisons à partir de 1 million de dollars. Même si le ministre du Logement nous a assuré que le gouvernement ne comptait pas imposer les gains en capital ni imposer une surtaxe sur les résidences principales, des propriétaires ont été inquiets d’apprendre dans les médias que la SCHL se penche sur le dossier de millions de titulaires d’une hypothèque pour cerner ceux qui ont plus d’une propriété, ce qui laisse entendre que la taxe sur les logements inutilisés pourrait s’appliquer aux résidences secondaires qui appartiennent à des Canadiens, comme des chalets d’été.

Je délaisse maintenant la partie 2 pour passer à la partie 3 du projet de loi. La partie 3 prévoit que le délai de prescription pour recouvrer une créance relative à un prêt accordé dans le cadre du programme Compte d’urgence pour les entreprises canadiennes est de six ans. Le Compte d’urgence pour les entreprises canadiennes est un programme de prêts mis en place pendant la pandémie. Ces prêts sont versés par Exportation et développement Canada en vertu de l’article 23 de la Loi sur le développement des exportations. Les entreprises admissibles qui ont fait une demande avant le 30 juin 2021 avaient droit à un prêt pouvant aller jusqu’à 60 000 $. Ce prêt est sans intérêt jusqu’au 31 décembre 2023. Un taux d’intérêt annuel de 5 % s’appliquera toutefois à compter du 1er janvier 2024. Si au moins 75 % du capital est remboursé au plus tard le 31 décembre 2023, le reste du capital sera radié. Pour la tranche de capital au-delà de 40 000 $, au moins 50 % de l’excédent doit avoir été remboursé pour qu’il y ait radiation du reste du capital.

Les articles 41 à 43 du projet de loi C-8 prévoient que le délai de prescription pour recouvrer une créance relative à un prêt accordé dans le cadre du Compte d’urgence pour les entreprises canadiennes est de six ans à compter de la date du défaut du prêt. Un prêt est en défaut à compter du jour où la personne qui recouvre la créance a connaissance du défaut pour la première fois ou aurait dû raisonnablement en avoir connaissance. Cette période de six ans repart du début chaque fois que l’emprunteur reconnaît sa dette, par exemple, en promettant de payer la créance exigible, ou en effectuant un paiement. J’avais cru que ce délai de six ans était un peu exagéré, mais il semble que ce soit un délai assez courant au sein du gouvernement fédéral. Le délai de prescription est semblable à ceux en vigueur pour d’autres prêts ou remboursements, comme ceux établis en vertu de la Loi fédérale sur l’aide financière aux étudiants.

La partie 4 du projet de loi autorise le ministre des Finances à payer sur le Trésor une somme maximale de 100 millions de dollars aux provinces et aux territoires en vue d’appuyer des projets d’amélioration de la ventilation dans les écoles. Les sommes maximales versées aux provinces et aux territoires sont précisées dans le projet de loi. Selon des fonctionnaires, les montants précisés dans le projet de loi sont calculés en fonction d’un montant fixe de 500 000 $ pour chaque province et territoire, auquel s’ajoute une allocation pour chaque enfant de 14 à 18 ans dans la province ou le territoire. Les fonds seront versés à chaque province et territoire, qui devra ensuite les débourser.

La partie 5 du projet de loi autorise le ministre de la Santé à effectuer des paiements sur le Trésor aux provinces et aux territoires pour une somme totale n’excédant pas 300 millions de dollars afin d’appuyer leurs initiatives en matière de preuve de vaccination contre la COVID-19. Le montant des paiements reçus par chaque province ou territoire sera déterminé par le ministre de la Santé. Il n’y a aucune autre information concernant les exigences provinciales ou territoriales pour accéder à ce financement ni concernant la façon dont il sera alloué. Les fonctionnaires ont indiqué que les négociations avec les provinces et les territoires sont en cours et qu’elles portent sur des questions de responsabilité, sur les sommes qui seront allouées chaque province et territoire et sur les modalités d’accès à ce financement. Comme il est indiqué dans le projet de loi, l’intention est d’établir et de faire fonctionner un programme de preuve de vaccination tant que cette dernière est exigée.

La partie 6 — plus précisément l’article 46 — autorise le ministre de la Santé à payer sur le Trésor une somme maximale de 1,7 milliard de dollars pour toute dépense relative à des tests de la COVID-19 engagée le 1er avril 2021 ou après cette date. Le Comité des finances de la Chambre des communes ayant proposé un amendement que la Chambre a accepté, le projet de loi C-8 comprend dorénavant une disposition relative à la responsabilité qui oblige le ministre à faire un rapport tous les trois mois concernant le montant total versé en vertu de la loi, le nombre de tests achetés et la façon dont ces derniers ont été distribués.

Alors que le projet de loi C-8 demande 1,7 milliard de dollars pour les tests de la COVID-19, deux autres projets de loi ont débloqué des fonds pour ceux-ci. Le projet de loi C-10 prévoyait 2,5 milliards de dollars pour ces tests, et le projet de loi de crédits pour le Budget supplémentaire des dépenses (C) prévoyait 4 milliards de dollars.

Dans un récent rapport, le directeur parlementaire du budget a indiqué que les 4 milliards de dollars prévus par le projet de loi de crédits pour le Budget supplémentaire (C) représentent un dédoublement des fonds demandés dans le cadre du projet de loi C-8 et prévus par le projet de loi C-10. Une question s’impose donc. Pourquoi le gouvernement demande-t-il deux fois des fonds pour la même initiative? Si le Parlement approuve deux fois les mêmes fonds, y aura-t-il 4 milliards de dollars supplémentaires à dépenser pour un autre projet dont on ne connaît pas la nature? Des fonctionnaires ont indiqué que les 2,5 milliards de dollars approuvés dans le cadre du projet de loi C-10 ont été gelés par le Conseil du Trésor. De plus, les 1,7 milliard de dollars prévus par le présent projet de loi ont été gelés, à l’exception de 6 millions de dollars.

Le Comité sénatorial permanent des finances nationales, dans son récent rapport sur le Budget supplémentaire des dépenses (C), s’est dit préoccupé par la double budgétisation de cette initiative. Plus précisément, le comité a déclaré que le gouvernement devrait mettre fin aux demandes de financement en double, car cela manque de transparence.

La partie 7 du projet de loi C-8 modifie l’article 12 et l’annexe VI de la Loi sur l’assurance-emploi afin de préciser le nombre maximal de semaines pendant lesquelles des prestations régulières d’assurance-emploi peuvent être versées à certains travailleurs saisonniers dans les régions où l’économie fluctue fortement selon la saison. Grâce au programme d’assurance-emploi, des prestations régulières sont offertes aux personnes admissibles qui perdent leur emploi pour des raisons indépendantes de leur volonté et qui sont aptes et disponibles pour le travail.

Honorables sénateurs, voilà qui conclut mes observations sur l’examen à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi C-8. J’attends avec impatience l’étude du projet de loi par le Comité sénatorial permanent des finances nationales. Je vous remercie.

[Français]

L’honorable Éric Forest : Chers collègues, d’entrée de jeu, je veux remercier la sénatrice Marshall de son discours et de ses propos toujours aussi pertinents. J’aimerais féliciter notre collègue le sénateur Gignac de sa première intervention dans cette Chambre. Je pense que son expérience sera un apport fort intéressant au Sénat et au Comité des finances.

Je voudrais brièvement prendre la parole aujourd’hui sur le projet de loi C-8 afin de signaler mon malaise par rapport à la taxe sur les logements sous-utilisés. J’aimerais d’abord préciser que le projet de loi de mise en œuvre de la mise à jour économique et budgétaire de décembre dernier contient plusieurs mesures que j’estime essentielles. Je pense notamment à la déduction pour les habitants des régions éloignées et aux remboursements de la redevance sur le carburant pour les agriculteurs, même si cela ne concerne pas le Québec, qui est exempté de cette redevance en raison de son propre système de tarification du carbone.

Bien sûr, j’appuie aussi la bonification du Compte d’urgence pour les entreprises canadiennes, qui a sauvé bien des entreprises durant la pandémie en accordant plus de 49 milliards de dollars en prêts sans intérêt assortis d’une radiation partielle.

Enfin, comme vous le savez, dans l’Est-du-Québec comme dans plusieurs régions du Canada, il y a plusieurs industries saisonnières. Il me semble important que le gouvernement reconduise les assouplissements à l’assurance-emploi afin d’éviter de pénaliser les travailleurs saisonniers. Ces mesures de transition sont essentielles, mais je dois dire que ce rapiéçage du programme m’exaspère. J’ai hâte que les consultations du gouvernement sur la réforme du régime d’assurance-emploi aboutissent, pour qu’on se donne enfin un système moderne d’assurance-emploi permettant de soutenir convenablement les travailleurs saisonniers, de même que les travailleurs autonomes et les autres travailleurs à statut précaire.

Permettez-moi de faire une petite parenthèse. J’ai noté avec intérêt que la sénatrice Bellemare a déposé récemment le projet de loi S-244, qui vise à renforcer le dialogue social en mettant sur pied un Conseil de l’assurance-emploi où les cotisants, de manière paritaire, pourraient s’asseoir et discuter ensemble du niveau de couverture qu’ils souhaitent. Il s’agit d’une belle contribution au débat et je vous invite à vous intéresser à cette proposition.

Pour revenir au projet de loi C-8, mon problème concerne la partie 2 du projet de loi, qui vise à mettre en place la Loi sur la taxe sur les logements sous-utilisés. Essentiellement, il s’agit pour le gouvernement d’instituer une taxe nationale annuelle de 1 % sur la valeur des immeubles résidentiels appartenant à des personnes non‑résidentes non-canadiennes, qui sont considérés comme vacants ou sous-utilisés. Je partage l’objectif du gouvernement, qui espère ainsi faire baisser le prix des maisons pour qu’elles deviennent plus accessibles aux résidents canadiens. Mon problème, c’est la façon de faire. D’abord, il y a l’encadrement du droit au logement. C’est une compétence provinciale qui relève du droit privé sur la propriété de droit civil et, plus généralement, des politiques sociales et des affaires locales.

(1630)

D’autre part, afin de sanctionner une pratique que l’on juge non souhaitable en matière de logement, le gouvernement impose une taxe punitive sur la valeur de l’immeuble. Il s’agit pourtant d’un champ de taxation qui, par suite de consentement mutuel, avait toujours été réservé aux autorités locales ou aux gouvernements locaux. J’aimerais citer le constitutionnaliste Patrick Taillon sur cet aspect du projet de loi :

[...] il y a deux scénarios possibles. Le premier consiste à qualifier cette loi comme une manière de réglementer le droit du logement, ce qui signifie que cette loi est vraisemblablement inconstitutionnelle, puisqu’elle dépasse les compétences du Parlement fédéral. [...]

Le caractère essentiel du projet de loi — son essence et sa substance — est de compétence provinciale.

Il s’agit là de la façon la plus logique de qualifier la loi. Cela dit, à terme, seuls les tribunaux peuvent, a posteriori, confirmer cette manière d’analyser la chose, et, si c’est le cas, cela conduira automatiquement à l’invalidité de la loi.

Sinon, le deuxième scénario, l’autre manière d’analyser la chose, consiste à masquer le caractère véritable de la loi derrière la sanction fiscale qui accompagne ici cette réglementation fédérale du droit du logement. Il s’agit alors de prétendre que ce n’est qu’une taxe, auquel cas il s’agit d’un dangereux précédent qui, introduit sans fédéralisme coopératif, risque d’aggraver le fragile équilibre fiscal au sein de la fédération.

[Traduction]

Autrement dit, si le projet de loi est interprété comme une nouvelle taxe, il sera injuste. Sans négociation et sans la coopération des provinces, un impôt foncier fédéral compromet notre équilibre fiscal. Depuis la Confédération, l’impôt foncier est un outil local et provincial. Ce n’est pas une bonne idée d’emprunter cet outil aux autorités locales.

[Français]

Comme vous le savez, l’histoire nous a appris qu’une fois que le gouvernement fédéral met le petit orteil dans un champ de taxation, il n’en sort plus. On se souviendra que, lors de la Première Guerre mondiale, l’impôt sur le revenu des sociétés devait être temporaire; ce fut la même chose lors du deuxième conflit mondial, alors que l’impôt sur le revenu des particuliers devait être éphémère. Vous savez comme moi que ces champs de taxation sont toujours occupés par le gouvernement fédéral, même si son assiette fiscale dépasse largement celle des provinces, qui sont pourtant aux prises avec des dépenses exponentielles en santé.

Je conçois que la taxe sur les logements sous-utilisés ne représente pas une source de revenus si importante pour le gouvernement. Mon objection a plutôt à voir avec le principe. Il est difficile pour moi de concevoir que le gouvernement fédéral ne puisse arriver à ses fins sans piétiner un champ de taxation qui s’avère déjà insuffisant pour répondre aux besoins des municipalités, qui ont vu leur champ de responsabilités considérablement augmenter au cours des années.

Comme vous le savez, la dépendance des municipalités à l’endroit de la taxe foncière est bien documentée. Les villes québécoises tirent près de 70 % de leur revenu de l’impôt foncier, selon une évaluation de l’UMQ qui date de 2018. Le problème de dépendance est exacerbé par la dématérialisation de l’économie. Les achats en ligne, le télétravail, les locations à court terme de type Airbnb font en sorte que l’on perd des espaces commerciaux et que l’assiette fiscale des municipalités s’amenuise. La dépendance des municipalités envers la taxe foncière a notamment des effets pervers sur le plan du développement immobilier, qui se fait souvent au détriment de l’environnement, des milieux humides et des zones agricoles.

Ma crainte est que le gouvernement fédéral, en jouant les pique-assiette, dépossède les municipalités et accélère le phénomène de déséquilibre fiscal que je décrivais plus tôt. En fait, la Loi sur la taxe sur les logements sous-utilisés va complètement dans la direction opposée de ce que demandait le monde municipal à l’occasion du dépôt du livre blanc municipal de l’UMQ il y a 10 ans. À l’époque — et c’est toujours d’actualité —, on réclamait une réforme fiscale et financière permettant de diversifier les sources de revenus des municipalités. On partait du principe que la municipalité est l’instance politique la plus appropriée pour répondre, à l’échelle locale, aux besoins des citoyens et des citoyennes.

D’ailleurs, en cette qualité, la municipalité devait disposer des compétences et des pouvoirs nécessaires pour répondre aux besoins actuels et futurs de ses citoyens, de la discrétion nécessaire pour décider, dans l’intérêt public local, des moyens à mettre en place pour répondre à ces besoins et de l’autonomie nécessaire qu’elle établir pour les financer. Encore faut-il que les ordres de gouvernement supérieurs ne viennent pas piger dans son assiette.

À terme, l’UMQ espérait obtenir de nouvelles sources de financement autonome pour permettre aux municipalités de s’affranchir de la taxe foncière. Jamais on n’aurait imaginé que le gouvernement fédéral viendrait piger dans l’assiette fiscale normalement réservée aux municipalités. L’Union des municipalités du Québec a d’ailleurs écrit à la ministre Freeland, le 19 avril dernier, pour signifier son opposition à la proposition du gouvernement fédéral visant à imposer une taxe sur la valeur des immeubles résidentiels considérés comme sous-utilisés.

Je cite les propos de cette lettre :

D’une part [...] le projet de taxe créerait un précédent regrettable, alors que l’impôt foncier représente la seule source significative de revenus autonomes dont disposent les municipalités.

D’autre part, les municipalités possèdent déjà une bureaucratie compétente et efficace pour administrer l’impôt foncier. Un dédoublement de cette bureaucratie représenterait des coûts supplémentaires pour les contribuables québécois et canadiens, et ce, alors que les municipalités font déjà face à des difficultés de recrutement dans plusieurs domaines d’activité. Cette mesure viendrait exacerber ce problème réel touchant plusieurs municipalités.

Selon l’UMQ :

[...] il serait plus opportun que le gouvernement fédéral utilise d’autres outils que l’impôt foncier pour agir positivement sur le marché du logement, notamment en haussant les investissements en matière de logements sociaux et abordables comme il l’a fait dans le budget 2022-2023.

En conclusion, j’estime que le gouvernement fédéral joue un jeu bien dangereux en s’immisçant dans un domaine traditionnellement réservé aux gouvernements locaux. Même si le projet de loi devait être jugé valide par les tribunaux, le risque est que le gouvernement fédéral vienne concurrencer la capacité fiscale fort modeste des municipalités. Ne l’oublions pas. La plus élémentaire des prudences requiert que le gouvernement fédéral ait une conversation soutenue avec les provinces à ce sujet et qu’il envisage d’autres moyens plus respectueux et efficaces pour lutter contre l’importante pénurie de logements que connaît le pays.

[Traduction]

À tout le moins, j’invite mes collègues qui étudieront ce projet de loi en comité à se pencher sérieusement sur cette question qui remet en cause les fondements du fédéralisme fiscal au pays.

Merci, meegwetch.

Des voix : Bravo!

[Français]

Son Honneur la Présidente intérimaire : Les sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Oui.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée et le projet de loi est lu pour la deuxième fois.)

Renvoi au comité

Son Honneur la Présidente intérimaire : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la troisième fois?

(Sur la motion du sénateur Gignac, le projet de loi est renvoyé au Comité sénatorial permanent des finances nationales.)

[Traduction]

Projet de loi concernant un cadre fédéral relatif au trouble du spectre de l’autisme

Troisième lecture—Ajournement du débat

L’honorable Leo Housakos propose que le projet de loi S-203, Loi concernant un cadre fédéral relatif au trouble du spectre de l’autisme, tel que modifié, soit lu pour la troisième fois.

 — Honorables sénateurs, j’aimerais me réserver le droit de prendre la parole plus tard à l’étape de la troisième lecture, étant donné que je suis le parrain du projet de loi.

(1640)

L’honorable Jane Cordy : Honorables sénateurs, je prends la parole au nom de la sénatrice Wanda Thomas Bernard afin de prononcer son discours sur le projet de loi S-203, car elle ne pouvait être avec nous aujourd’hui. Elle a déjà parlé plusieurs fois du trouble du spectre de l’autisme au Sénat.

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour appuyer le projet de loi S-203, Loi concernant un cadre fédéral relatif au trouble du spectre de l’autisme. Ce projet de loi demande au gouvernement fédéral d’accorder la priorité à un cadre national et d’élaborer une stratégie nationale sur l’autisme qui présentera des solutions à long terme pour les autistes du Canada, peu importe où ils vivent.

Aujourd’hui, j’aimerais vous faire part de certains témoignages poignants entendus pendant les audiences du comité. Ces témoignages ont permis de renforcer le projet de loi, et j’espère qu’ils contribueront à son adoption. Je vais aussi vous expliquer l’importance de redéfinir ce qu’est un handicap et l’autisme selon une perspective axée sur les forces, ainsi que l’importance des ajouts au projet de loi, comme l’intersectionnalité et l’inclusion.

À l’étape du comité, nous avons entendu des témoignages cruciaux provenant de personnes défendant leur propre cause. Vivian Ly, cofondatrice et membre organisatrice d’Autistics United Canada, nous a rappelé que la phrase « rien de ce qui nous concerne ne doit se faire sans nous » n’est pas seulement une maxime, c’est un appel à l’action. Cet appel à l’action doit être pris au sérieux et mis en œuvre en consultant les personnes autistes et en les incluant à chaque étape de l’élaboration de la politique. La sénatrice Petitclerc a ajouté une observation qui exprime bien cet appel à l’action en insistant sur la participation des personnes autistes à l’étape de l’élaboration du cadre.

Des personnes militant en leur propre nom ont présenté des témoignages convaincants et exhorté les sénateurs à opter pour un modèle fondé sur les forces au moment de concevoir le projet de loi. Vivian Ly a fait comprendre au comité que le libellé du projet de loi définit l’autisme dans une optique de déficit. Les témoins ont expliqué que les personnes autistes ne souffrent pas d’autisme : elles souffrent à cause de « la discrimination fondée sur la capacité systémique et d’un manque d’accès, d’acceptation et de soutien ».

Nous devons changer de perspective pour nous éloigner de l’optique de déficit afin d’adopter une optique fondée sur les forces qui reconnaît et soutient les personnes autistes, tout en luttant contre les problèmes systémiques. Ce sont de précieuses leçons qui serviront à l’élaboration du cadre national.

Elles nous rappellent également à quel point il sera important de modifier notre façon de penser lorsque le Sénat préparera toute mesure législative qui aura une incidence sur les personnes autistes ou les personnes handicapées.

Bien que j’appuie ce projet de loi sur le fond en vue de créer un cadre national, je crois qu’il devrait être plus inclusif. De nombreux témoins nous ont fait comprendre que le défi avec des mesures législatives de cette nature réside dans la très grande diversité des personnes autistes. Il peut être difficile de trouver le juste équilibre quand on veut apporter des changements sans exclure une partie de ce groupe.

L’inclusivité et l’intersectionnalité ont été des ajouts importants, puisqu’ils rappellent qu’il faut spécialement veiller à ce que les personnes autistes qui ont des besoins particuliers du fait de leur culture, de leur langue ou de leur région aient un accès équitable aux services, tout en évitant de devenir trop prescriptif. Cet ajout devrait guider l’élaboration d’un cadre qui tient compte des obstacles auxquels se butent les personnes autistes qui vivent aussi d’autres formes d’oppression associées, par exemple, au racisme, à l’homophobie, à la transphobie et au sexisme. Parmi les personnes qui risquent d’être laissées pour compte, mentionnons les Autochtones, particulièrement ceux du Nord, et les Canadiens francophones qui ont besoin de services en français. Selon moi, les changements apportés pendant l’examen en comité tiennent compte de cette diversité et permettront d’élaborer un cadre national qui profitera à un plus grand nombre de personnes autistes.

En plus d’un amendement qui souligne la nécessité de consulter les communautés autochtones, certains des autres changements prometteurs apportés pendant l’examen en comité mettent l’accent sur le point suivant :

[...] des ressources soutenues, accessibles et adaptées à la culture, offertes en ligne et ailleurs, sur les meilleures données probantes disponibles pour aider les personnes autistes, leur famille et leurs aidants, y compris des données sur les traitements efficaces et les traitements inefficaces ou néfastes [...]

Honorables sénateurs, lorsque je réfléchis au processus rigoureux que ma famille a suivi pour assurer un réseau de soutien continu à mon petit-fils, je constate à quel point, sans un soutien adéquat, les gens peuvent facilement passer entre les mailles du filet. Je sais d’expérience l’énergie constante qu’il faut déployer pour surveiller les services disponibles et adapter le plan au fur et à mesure que des difficultés surgissent. Toutes les personnes autistes ne bénéficient pas du même niveau de soutien que mon petit-fils. C’est pourquoi je continue d’insister sur l’importance de veiller à ce que le cadre national soit aussi inclusif que possible et tienne compte de tous les obstacles que rencontre ce groupe diversifié de personnes.

Je suis très optimiste face à l’avenir. Le cadre et la récente nomination de la première dirigeante principale de l’accessibilité du Canada laissent présager des changements positifs pour les personnes handicapées du Canada.

Le projet de loi S-203 est susceptible d’entraîner d’énormes progrès pour les personnes autistes au Canada, et j’appuie l’adoption de ce projet de loi avec les amendements et les observations faits en comité.

Merci, asante.

Des voix : Bravo!

L’honorable Kim Pate : Honorables sénateurs, je remercie le sénateur Housakos et tous les membres du comité qui ont étudié ce projet de loi.

Le cadre relatif à l’autisme que propose le projet de loi S-203 comprend dans ses principes un accès égal à des ressources de soutien médical et financier. Ce projet de loi exigerait que le gouvernement mette en œuvre un cadre relatif à l’autisme comprenant des mesures de soutien financier pour les personnes autistes et leur famille, ainsi que des mesures de soutien pour les aidants de personnes autistes. La pauvreté est un obstacle à l’accès aux services importants, et cela favorise des injustices et des inégalités qui empêchent beaucoup de personnes autistes de pouvoir s’épanouir.

Comme l’a écrit la sénatrice Wanda Thomas Bernard dans le discours lu par la sénatrice Cordy, Vivian Ly, représentante d’Autistics United Canada, a indiqué, en témoignage devant le Comité des affaires sociales, que 25 % des personnes autistes au Canada vivent sous le seuil de la pauvreté. Dans la situation actuelle, sous le regard de l’État, des personnes autistes et d’autres personnes handicapées sont victimes de pauvreté; trop de jeunes marginalisés, économiquement parlant, se retrouvent à passer des études à l’institutionnalisation ou à l’incarcération, et leur famille se heurte à des séries d’obstacles pour tenter de leur obtenir des soins adéquats.

Je veux dédier le reste de mon discours d’aujourd’hui à Bev et à Weston, son fils de 4 ans. Les efforts quotidiens de Bev pour faire lever les obstacles systémiques sont un exemple criant des observations d’Autistics United Canada au comité, c’est-à-dire que les ressources de soutien cloisonnées qui sont offertes aux personnes autistes et à leurs aidants sont tout à fait inadéquates pour s’attaquer à l’intersection du capacitisme systémique et de la marginalisation économique.

Bev est une Métisse de 39 ans qui est née et qui a grandi à Saskatoon. Elle se définit comme une fière maman de sept beaux enfants ayant entre 4 et 21 ans, et comme kookum d’un petit-fils de 1 an.

Voici ce qu’elle avait à dire :

J’ai survécu à la violence faite aux enfants, à des agressions sexuelles, au système des familles d’accueil, à l’incarcération juvénile, à la prostitution, à la violence familiale et à la toxicomanie. J’ai été membre d’un gang et j’ai été détenue dans un pénitencier fédéral. [...] J’ai survécu à des traumatismes intergénérationnels. [...]

J’ai eu la chance d’avoir un système de soutien qui a cru en moi, qui m’a entourée de services, qui m’a prise par la main et qui m’a aidée à faire face à mes insécurités.

Je travaille actuellement pour la Nation métisse de la Saskatchewan en tant qu’aide en soutien informatique. J’en suis également à ma première année d’études au programme de travail social de l’Université des Premières Nations du Canada. [...]

Je n’hésite pas à réclamer que les membres de ma communauté soient traités comme des êtres humains et à lutter contre un système qui défavorise les Autochtones, ainsi que les personnes vulnérables, marginalisées et sans voix.

[...] Je ne me rendais pas compte, quand je me suis retrouvée à réclamer des réponses et des traitements pour mon fils, que je serais non seulement sa mère, mais aussi sa défenseure et sa voix. Sa qualité de vie repose sur mes épaules [...] Sur chacune des voies que j’empruntais, je me heurtais à des obstacles qui visaient à me faire abandonner et à me faire accepter l’idée que mon fils ne méritait pas des thérapies et des soins adéquats. [P]arce que je viens d’un milieu pauvre, nous continuons à recevoir des soins médiocres. Je ne peux pas l’accepter.

(1650)

Weston est né prématurément le 22 octobre 2017. Il s’est épanoui et a franchi avec brio tous ses petits jalons. À 35 semaines, Weston est arrivé à la maison. [À l’âge de] 8 semaines, il a contracté un virus. Je me souviens lorsque j’ai appelé le 911 sur l’heure du dîner parce qu’il avait cessé de respirer.

[...] J’avais l’impression que nous nous rendions toutes les semaines ou toutes les deux semaines à l’urgence parce que Weston avait de la difficulté à respirer[;] à chaque visite à l’hôpital, on nous donnait le même traitement, une combinaison d’inhalateurs et de stéroïdes, puis on nous renvoyait à la maison.

[À l’âge de] 10 mois, [un] spécialiste a réalisé que les poumons de Weston étaient remplis de liquide [...] Weston a subi une intervention chirurgicale. [Il] a été alimenté à l’aide d’une sonde pendant quatre mois et il avait un nébuliseur et de l’oxygène à la maison. Weston se noyait chaque fois qu’il buvait ou mangeait.

[…] Mon inquiétude a grandi quand j’ai constaté que, à un peu plus de 1 an, Weston ne faisait aucun bruit de bébé et ne tentait de dire aucun mot. […] [Q]uand il jouait, il alignait ses jouets dans un ordre très précis. Quand il mangeait, il n’aimait pas que ses aliments se touchent […] Weston piquait des crises si nous ne suivions pas la routine ou que nous faisions quelque chose sporadiquement ou spontanément. À l’âge d’un an et demi, il ne regardait personne dans les yeux, choisissait de jouer seul et n’aimait pas certaines lumières, certains bruits et certains endroits.

Il a fallu attendre presque deux ans pour qu’il soit vu par des spécialistes au centre Alvin Buckwald. Entretemps, la COVID était arrivée […] Cela signifie que tous les rendez-vous avaient lieu par appel vidéo.

En février 2021, Weston a reçu un diagnostic de retard global du développement et de trouble du spectre de l’autisme. De plus, il demeure non verbal.

Permettez-moi d’énumérer quelques-uns des facteurs qui entravent la prestation de ressources et de soins adéquats à Weston.

Je suis une mère qui élève seule quatre enfants à la maison, et qui travaille […] et fréquente l’université à temps plein. Je vis d’un chèque de paie à l’autre […] Je n’ai donc pas les moyens de payer entre 125 et 350 $ l’heure pour des thérapeutes privés pour Weston. On recommande de consacrer 2 heures par semaine pendant 52 semaines à la thérapie. Or, à l’heure actuelle, le temps d’attente est de 6 à 36 mois. Weston a besoin dès maintenant d’un spécialiste en intervention comportementale, dont les frais peuvent s’élever à plus de 500 $ la visite.

Je ne peux pas avoir accès à des services pour Weston par l’entremise du centre de services pour l’autisme, car il faudrait pour cela que je suive un programme d’intervention parentale. À l’heure actuelle, ce programme n’est offert que durant le jour, trois heures par jour pendant 6 à 12 semaines […] Je ne peux me permettre de ne pas travailler trois heures par jour […] On m’a dit que je devais faire de mon fils une priorité, que si j’avais tant besoin du centre de services pour l’autisme, je trouverais une façon de me débrouiller. J’ai eu l’impression de [négliger] […] mon fils, puisque je ne pouvais pas suivre ce programme parental.

Weston adore courir, ce qui signifie qu’il se met à courir dès qu’il se retrouve dans un espace ouvert. Je loue actuellement une maison au coin d’une rue très passante. J’ai présenté une demande fondée sur le principe de Jordan pour faire installer une barrière à l’avant de ma maison afin de protéger mon fils, mais on me l’a refusée. J’ai fait appel en juillet 2021 et j’attends toujours une réponse […] [Weston] participe actuellement au projet Lifesaver, un programme qui lui permet d’avoir sur lui un moniteur GPS afin qu’il puisse être géolocalisé par les services de police de Saskatoon s’il disparaissait.

En octobre […] Weston avait vraiment besoin de voir un dentiste. Toutefois, comme il refusait de rester immobile dans la chaise du dentiste assez longtemps pour subir un examen, on m’a dit que la seule façon de faire examiner et réparer ses dents serait de lui administrer d’abord des sédatifs. Le hic, c’est que pour prendre un tel rendez-vous, je devais payer 3 000 $ d’avance [...] J’étais au travail [...] en larmes après cet appel avec le cabinet de dentiste et je n’avais aucune idée comment j’arriverais à aider mon fils. Ma patronne [...] a entendu la conversation et a lancé une campagne de sociofinancement [grâce à laquelle elle a amassé 3 500 $] pour que mon fils puisse obtenir les soins dentaires dont il avait besoin [...] En tout, cela a coûté 3 990 $. Je dois toujours 440 $ pour cette visite de Weston chez le dentiste. On m’a dit que, étant donné que Weston aura besoin de sédatifs pour tous ses soins dentaires, chaque visite me coûtera 3 000 $. C’est scandaleux!

Weston a reçu un diagnostic d’inhalation de corps étrangers, ce qui veut dire que lorsqu’il avale, des fluides pénètrent dans ses poumons […] ce qui entraîne une pneumonie de déglutition et a mené à des dizaines d’admissions à l’hôpital. Il n’existe aucune mesure de soutien en place pour aider à payer les bouteilles, tasses et pièces de vaisselle spéciales que j’ai dû acheter pour atténuer son inhalation de corps étrangers.

Comme Weston a beaucoup de difficulté à manger [...] je dois acheter de la poudre de protéines, [beaucoup] de vitamines [...] et des probiotiques pour l’aider à rester en santé. Il est également intolérant au lactose. Aucun service n’existe pour m’aider financièrement à assumer l’achat de tous ces articles.

Weston a reçu un diagnostic de trouble du traitement auditif. Au début, on nous avait dit qu’il était malentendant [et] nous avons dû acheter des appareils auditifs d’une valeur de 3 000 $ [...] [A]près de nombreux rendez-vous sans amélioration, j’ai demandé un nouvel examen auditif. On m’a dit qu’il faudrait attendre de 18 à 24 mois, alors j’ai payé pour un examen dans le secteur privé [...] [N]ous avons découvert [...] qu’il pouvait entendre [...] il ne peut simplement pas traiter les mots et les sons qu’il entend. Il n’y a aucun traitement spécialisé en Saskatchewan pour ce genre de trouble chez les jeunes [enfants].

Weston a fréquenté quatre centres d’apprentissage de la petite enfance de Saskatoon et, chaque fois, on a demandé d’arrête de venir parce qu’il n’y avait pas assez de personnel pour lui fournir les soins nécessaires.

En 2021, j’ai organisé une campagne de financement en vue de l’achat d’un iPad et d’une application pour aider Weston à communiquer au moyen d’images. La campagne a permis d’amasser 1 200 $. J’utilise YouTube et des techniques apprises de façon autodidacte pour enseigner à Weston.

Weston fréquente présentement un établissement préscolaire pour les enfants ayant des besoins spéciaux [...] mais il n’y a pas de maternelle adaptée aux enfants ayant des besoins spéciaux qui pourra l’accueillir à l’automne. On m’a dit qu’il devra aller à la maternelle régulière et d’espérer [...]

 — d’espérer, honorables collègues —

[...] d’être mis en contact avec un assistant en éducation.

On m’a également dit que si Weston n’était pas complètement propre, il ne sera pas du tout autorisé à aller à l’école.

Honorables sénateurs, certains d’entre vous se souviendront de Bev. Elle a coordonné le projet des poupées sans visage qui vous a été offert à tous. Bev est une femme intelligente et persévérante. Les difficultés qu’elle a dû surmonter pour s’orienter dans des systèmes hétérogènes et inadaptés sont tout à fait injustes et soulignent le besoin urgent de mettre en place des mesures de soutien économique, social et en matière de santé qui soient accessibles à tous.

Au cours de l’étude du projet de loi S-203 par le comité, Autistics United Canada a demandé « de[s] soutiens et de[s] services pour tous les handicaps, et [un] accès universel et équitable à la sécurité financière, aux besoins de base, au logement, à l’emploi, à l’éducation et aux soins de santé », plus particulièrement :

[...] par l’entremise du revenu de base universel, du régime universel d’assurance-médicaments, des politiques de Logement d’abord et de la pleine conformité avec la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées.

Le gouvernement s’est engagé à mettre en œuvre une prestation canadienne pour les personnes en situation de handicap ainsi qu’une forme de revenu de base garanti suffisant pour les personnes handicapées. Il s’est engagé à mettre en œuvre les appels à la justice de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, notamment l’appel no 4.5 pour la mise en place d’un revenu de base garanti sur le plan national. Il s’agit du genre de mesures de soutien financier que le cadre proposé dans le projet de loi S-203 doit intégrer si l’on veut changer la donne pour Weston et tant d’autres.

La persévérance de Bev est remarquable. Elle décrit fièrement son fils :

Weston est le plus doux, le plus observateur et le plus gentil des petits garçons. J’ai appris de Weston le vrai sens de la patience et de la compréhension et j’ai une toute nouvelle perspective sur le monde quand je le regarde à travers les yeux de mon fils.

Weston [...] est beau à l’intérieur comme à l’extérieur.

Et je veux que vous le sachiez tous.

Je pense sincèrement que mon fils n’a pas la possibilité d’accéder aux services, aux programmes et aux thérapies dont il a besoin parce que j’ai un faible revenu. Malheureusement, sa mère ne peut pas lui offrir une vie privilégiée avec une quantité illimitée de ressources et d’argent pour accéder à [ce dont il a besoin, sans parler de] ce qu’il y a de mieux. Être une femme autochtone, c’est se heurter à d’innombrables obstacles. Nous avons fait face au racisme, à la discrimination et à un manque d’empathie au cours de ce voyage. Mais je refuse de baisser les bras.

Chers collègues, ce projet de loi n’est qu’une étape, mais sans un accès équitable à tout le soutien nécessaire, nous risquons de continuer à laisser derrière les personnes qui en ont le plus besoin. Ne laissons pas tomber Bev, Weston et de trop nombreuses autres personnes.

Meegwetch. Merci.

(Sur la motion du sénateur Patterson, le débat est ajourné.)

(1700)

Projet de loi instituant la Journée canadienne de l’alimentation

Troisième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Black, appuyée par l’honorable sénateur Downe, tendant à la troisième lecture du projet de loi S-227, Loi instituant la Journée canadienne de l’alimentation.

L’honorable Rose-May Poirier : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui à l’étape de la troisième lecture du projet de loi S-227, Loi instituant la Journée canadienne de l’alimentation. Je remercie le Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts d’avoir fait preuve de diligence raisonnable à l’égard de cette mesure législative très importante. Comme je l’ai dit dans mon discours à l’étape de la deuxième lecture, j’appuie pleinement le projet de loi du sénateur Black visant à instituer une journée canadienne de l’alimentation. Il s’agit d’une excellente occasion de faire connaître aux Canadiens le rôle crucial que joue le secteur de l’alimentation locale dans notre vie quotidienne. Qu’il s’agisse de poissons, de bleuets, de pommes, de pommes de terre ou d’autres aliments, c’est la base de notre alimentation quotidienne.

Chers collègues, vous vous rappellerez peut-être que, dans le discours que j’ai donné à l’étape de la deuxième lecture, j’ai souligné l’importance culturelle de l’alimentation locale. Permettez-moi de vous faire part de quelques-unes des initiatives alimentaires en place au Canada afin de vous montrer la grande importance que nous accordons, en tant que société, aux aliments locaux.

En Colombie-Britannique, le marché agricole de Penticton, dans la vallée de l’Okanagan, en est un exemple parfait. C’est l’un des marchés les plus proches de la ferme. Tous les vendeurs sont tenus de fabriquer, de confectionner ou de cultiver leurs produits localement. Ils font partie d’un mouvement qui prend de l’ampleur en Colombie-Britannique et qui vise à protéger et à améliorer les circuits alimentaires de proximité et à petite échelle. Je dois aussi mentionner le marché public de Granville Island, qui sert de marché alimentaire local et d’attrait touristique majeur.

Par ailleurs, les marchés fermiers du pays sont des chefs de file en matière de sécurité alimentaire à l’échelle locale. En Ontario seulement, on en compte 180. Depuis 1991, Farmers’ Markets Ontario montre l’exemple en faisant la promotion des marchés auprès des municipalités et des investisseurs potentiels afin d’assurer la vitalité et la pérennité des marchés et de favoriser la croissance des marchés fermiers pour le bien des agriculteurs locaux, du secteur des aliments locaux et des consommateurs de l’Ontario.

Évidemment, tous les étés, nous voyons une foule de festivals où les aliments sont à l’honneur, comme Alberta on the Plate, le Festival de la curd de St-Albert, en Ontario, le Festival régional de la patate de Grand-Sault, au Nouveau-Brunswick, et bien d’autres. Il y a aussi d’importantes initiatives pour promouvoir les aliments locaux, comme le Panier alimentaire canadien, une initiative de sensibilisation menée par Farm & Food Care Saskatchewan. Dans le cadre de cette initiative, on organise des visites d’exploitations agricoles, des activités communautaires, des activités en ligne, des cours et des séminaires, on fait part de nos expériences par rapport aux aliments canadiens et aux activités agricoles, on découvre comment les cultures sont produites et le bétail est élevé, on échange des recettes, et des experts donnent des conseils pratiques pour aider les gens à faire des choix éclairés en matière d’alimentation. L’objectif est d’améliorer les connaissances en alimentation et de bâtir la confiance à l’égard des chaînes de production alimentaire du pays, et ce, de la ferme à l’assiette.

Chers collègues, permettez-moi de vous donner un exemple concret, celui de Little River Polyculture à Bathurst, au Nouveau-Brunswick. Il s’agit d’une polyculture locale de micropousses qui offre des produits frais à longueur d’année à la collectivité. Cette entreprise produit diverses pousses pour les restaurants et les résidants : roquette, tournesol, pois, brocoli et ainsi de suite. Non seulement cette entreprise contribue à fournir des produits frais et sains, mais elle a aussi récemment installé le premier système hydroponique à l’école secondaire locale. Grâce à cette initiative d’alimentation locale, les étudiants apprennent à produire de la salade pour leur buffet à salades. Les producteurs d’aliments locaux comme Little River Polyculture deviennent d’importants ingénieurs sociaux pour les communautés.

Honorables sénateurs, je vous parle des divers marchés et festivals pour vous montrer qu’avec le projet de loi S-227, ces événements ne seront pas isolés les uns des autres. Une fois par année, ils seront liés par la Journée canadienne de l’alimentation. Il pourrait même y avoir davantage de collaboration à l’échelle nationale entre les divers marchés alimentaires et festivals locaux et provinciaux. Une telle collaboration existe peut-être déjà à mon insu. Néanmoins, dans un vaste pays comme le nôtre et compte tenu de l’importance sociale et culturelle de l’alimentation, nous les célébrerons tous ensemble le même jour.

De plus, avant de terminer, je dois dire quelques mots sur l’importance de la sécurité alimentaire. J’espère que la Journée canadienne de l’alimentation sera également une occasion d’approfondir le dialogue sur la sécurité alimentaire au Canada et sur la façon dont les aliments locaux peuvent nous aider à lutter contre la faim. Dans un pays comme le nôtre où la nourriture est si abondante, nous devons nous efforcer de faire mieux pour réduire et finalement éliminer la faim. Par exemple, selon Statistique Canada, à l’automne 2020, 9,6 % des Canadiens ont déclaré avoir connu une certaine insécurité alimentaire dans leur ménage au cours des 12 mois précédents. C’est inférieur au taux estimé de 12,6 % en 2017-2018, mais je pense que près d’un Canadien sur 10, c’est encore trop. Ici même à Ottawa, la demande de banques alimentaires a augmenté de 20 % en mars 2022 par rapport à mars 2021. Il s’agit d’une hausse considérable, honorables sénateurs, et il est important qu’une journée comme la Journée canadienne de l’alimentation mette en valeur les aliments locaux, mais aussi reconnaisse ce que nous pouvons faire de plus pour aider les personnes dans le besoin.

À un moment où l’inflation est en hausse, avec un taux de 8,7 % de plus pour les aliments achetés en magasin par rapport à l’année dernière en mars, tout le monde ressent la pression qu’exerce l’inflation sur le porte-monnaie. Le prix des produits laitiers et des œufs a augmenté de 8,5 %, tandis que celui du beurre a augmenté de 16 %, celui du fromage de 10,4 % et celui du lait de 7,7 %. La Journée canadienne de l’alimentation serait une excellente occasion d’avoir une discussion sur la sécurité alimentaire en période d’inflation croissante. Je ne suis pas une économiste ou une spécialiste de la politique alimentaire, mais je viens d’une région rurale et, d’après mon expérience, lorsqu’une collectivité subvient à ses besoins en recourant aux marchés alimentaires locaux, les agriculteurs locaux soutiennent la collectivité. Tout le monde gagne à se soutenir mutuellement.

Honorables sénateurs, comme l’a dit le sénateur Black dans son discours à l’étape de la troisième lecture, le projet de loi S-227 concerne les gens. C’est une occasion de rassembler les gens pour célébrer nos aliments locaux, témoigner notre reconnaissance aux agriculteurs et les remercier. J’appuie le projet de loi et j’espère que vous vous joindrez à moi pour appuyer la création d’une journée canadienne de l’alimentation. Merci.

(Sur la motion du sénateur Dean, le débat est ajourné.)

Projet de loi modifiant la Loi électorale du Canada et le Règlement adaptant la Loi électorale du Canada aux fins d’un référendum (âge de voter)

Deuxième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice McPhedran, appuyée par l’honorable sénateur White, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-201, Loi modifiant la Loi électorale du Canada et le Règlement adaptant la Loi électorale du Canada aux fins d’un référendum (âge de voter).

L’honorable Patricia Bovey : Honorables sénateurs, le discours qui suit est celui de la sénatrice Wanda Thomas Bernard, qui ne pouvait pas être avec nous aujourd’hui.

Honorables sénateurs, je prends la parole en appui au projet de loi S-201, Loi modifiant la Loi électorale du Canada et le Règlement adaptant la Loi électorale du Canada aux fins d’un référendum (âge de voter). Je remercie notre collègue la sénatrice McPhedran et le Conseil canadien de jeunes féministes des innombrables efforts qu’ils ont déployés dans ce dossier et d’avoir présenté cette question au Sénat. Votre dévouement envers le leadership et l’engagement civique des jeunes est admirable.

Plus tôt ce printemps, j’ai eu l’honneur de participer à une table ronde en ligne sur l’âge de voter et l’engagement civique en compagnie de notre collègue la sénatrice Clement, du maire adjoint de Shelburne, Steve Anderson, et de représentants d’Operation Black Vote Canada. Des jeunes Noirs de partout au pays y participaient également. Le message que j’ai entendu était très clair : les jeunes Noirs veulent prendre part aux processus décisionnels qui les concernent. Pouvoir voter plus rapidement serait extrêmement encourageant et valorisant pour les jeunes Noirs qui veulent changer les choses dans leur communauté. J’adorerais un avenir où il y a davantage de leaders noirs en politique municipale, provinciale et fédérale. Promouvoir ce genre d’engagement civique dès la jeunesse constitue un début prometteur.

(1710)

Pendant cette table ronde, les jeunes ont fait part de leur aspiration à participer à la politique une fois l’âge du droit de vote abaissé. Ils ont partagé leurs anecdotes et leurs préoccupations au sujet de grands dossiers comme les changements climatiques, la pauvreté, l’insécurité alimentaire, la santé mentale et les répercussions de la pandémie sur les jeunes. Les jeunes sont directement confrontés à ces problèmes et sont parfaitement capables de comprendre le processus démocratique.

Bon nombre de ces jeunes gens se sentent privés de leurs droits parce qu’ils ne peuvent pas voter. Ils sont très favorables à la recommandation d’abaisser à 16 ans l’âge du droit de vote. Ils ont parlé du fait qu’ils prennent déjà des décisions au sujet de leur vie qui nécessitent d’avoir le sens des responsabilités et de faire preuve de jugement, comme le fait de conduire, de travailler ou d’avoir des relations sexuelles. Certains de ces jeunes prennent déjà des responsabilités en assumant le rôle d’adulte responsable et en prenant soin d’autres membres de leur famille. Ils croient que le fait d’abaisser l’âge de voter s’harmonise avec leur réalité et leurs responsabilités actuelles en tant que membres actifs de la collectivité. Comme la sénatrice McPhedran a déjà signalé les preuves qui démontrent la maturité et le sens des responsabilités des jeunes dans son discours, je n’en dirai pas plus à ce sujet.

Les Canadiens noirs ont historiquement été écartés de la sphère politique depuis notre arrivée sur ce territoire que nous appelons le Canada. Les antécédents de racisme, de ségrégation et de marginalisation nous ont fait sentir indésirables dans la majorité des espaces publics et privés et nous en ont désintéressés. En raison de ces antécédents, l’une de mes principales priorités, en tant que sénatrice, a été de participer aux séances de discussion avec de jeunes Noirs de la communauté à propos du leadership et de l’engagement civique. Je centre mes efforts sur les stratégies qui contribuent à offrir à ces jeunes des perspectives plus prometteuses et mobilisatrices. Beaucoup de jeunes sont prêts et aptes à devenir les leaders solides dont leur communauté a besoin. Ils ont simplement besoin qu’on leur donne la chance de participer de manière significative au processus démocratique.

Le troisième pilier de la Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine des Nations unies est le développement. Étant donné que les Noirs ont longtemps été mis à l’écart de la sphère politique, je crois que donner aux jeunes Noirs la possibilité de participer à la vie politique serait un élément important pour contribuer au développement. Un grand nombre de jeunes ayant participé à la table ronde jouent déjà un rôle dans les campagnes électorales locales, bien qu’ils n’aient pas le droit de voter pour les candidats qu’ils appuient. Les jeunes participants aux discussions ont exprimé leur frustration de ne pas être pris au sérieux tout simplement parce qu’ils n’ont pas encore l’âge de voter. Abaisser l’âge de voter donnerait à ces jeunes l’espace dont ils ont besoin pour exprimer leurs opinions et leurs idées à propos d’enjeux cruciaux. Apporter ce changement permettrait à ces jeunes d’avoir une réelle influence dans leur communauté et leur pays.

Honorables sénateurs, j’appuie le projet de loi S-201. Après avoir participé à l’excellente table ronde pendant laquelle nous avons consulté de jeunes Noirs, j’ai confiance que ce projet de loi pourra mobiliser ce groupe démographique important qui est prêt à se prononcer sur les gens qui dirigent la collectivité. Appuyer ce projet de loi, c’est favoriser un avenir marqué par un leadership solide et l’engagement civique.

Chers collègues, la sénatrice Bernard écrit qu’elle me remercie d’avoir « généreusement présenté » ses observations à propos de cet enjeu crucial.

Avant de terminer, je tiens à dire que, comme la sénatrice, j’appuie ce projet de loi et que j’ai moi aussi fait beaucoup de consultations auprès des jeunes, notamment dans le Nord et auprès de jeunes Autochtones. Je remercie la sénatrice Bernard de nous avoir fait connaître son point de vue. Je remercie aussi la sénatrice McPhedran. Au nom de la sénatrice Bernard, « merci, chers collègues. Asante. »

(Sur la motion du sénateur Dean, le débat est ajourné.)

[Français]

Projet de loi sur la Journée nationale de la jupe à rubans

Troisième lecture

Consentement ayant été accordé de revenir aux autres affaires, projets de loi d’intérêt public du Sénat, troisième lecture, article no 4 :

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice McCallum, appuyée par l’honorable sénatrice Pate, tendant à la troisième lecture du projet de loi S-219, Loi concernant la Journée nationale de la jupe à rubans.

L’honorable Marilou McPhedran : Honorables sénateurs, en tant que sénatrice du Manitoba, je reconnais que je suis sur le territoire du Traité no 1, le territoire traditionnel des Anishinabes, des Cris, des Oji-Cris, des Dakotas, des Dénés et de la patrie de la nation métisse.

[Traduction]

Je souligne que le Parlement du Canada est situé sur le territoire non cédé du peuple algonquin anishinabe et que de nombreuses personnes d’un peu partout sur l’île de la Tortue se joignent à nous aujourd’hui, qu’elles soient situées sur des terres cédées ou non cédées des peuples autochtones du Canada.

Chers collègues, je prends la parole pour appuyer le projet de loi de la sénatrice McCallum, le projet de loi S-219, et je vous remercie de me donner la parole à ce stade-ci du processus.

Il s’agit d’une étape inspirante sur le chemin long, essentiel et parfois incertain de la réconciliation entre les nations à l’intérieur des frontières du pays. Grâce à ce projet de loi, il y aura plus de place pour le respect, la compréhension et l’apprentissage de la culture et du patrimoine autochtones, en particulier la jupe à rubans, qui est une création des femmes autochtones chérie par la tradition et les cérémonies autochtones.

Aujourd’hui, j’ai l’honneur de porter ma jupe à rubans, un cadeau d’une femme sage de ma connaissance, qui m’a également offert la plume d’aigle que j’ai portée pour la première fois dans cette enceinte, lors de mon assermentation — il s’agit de l’indomptable Leslie Spillett, directrice générale fondatrice de Ka Ni Kanichihk, qui signifie « ceux qui dirigent ».

Il y a quelques jours, nous avons accueilli dans cette enceinte la famille endeuillée de la bien-aimée sénatrice Josée Forest-Niesing. Plus tard dans l’après-midi, nous avons entendu la sœur de Josée raconter comment elle, la mère de Josée et des amis ont terminé la jupe à rubans que Josée avait commencée.

La sénatrice Forest-Niesing nous avait dit être inspirée par ce projet de loi, façonné, dans les mots de la sénatrice McCallum, « pour transformer un incident malheureux en vecteur de changement grâce à la compréhension et à la sensibilisation. ».

Nous connaissons tous l’histoire d’Isabella Kulak, une élève autochtone de 10 ans qui avait si hâte de porter sa jupe à rubans, un cadeau de sa tante, à la « journée de tenues habillées » de son école, et qui a finalement été humiliée; on lui a dit qu’elle aurait dû porter une tenue achetée en magasin comme les autres élèves.

Le mépris envers la jupe à rubans d’Isabella peut sembler inoffensif ou peu important quand on le compare aux formes violentes de racisme et d’oppression souvent infligées aux peuples autochtones, mais il illustre la discrimination et les préjugés insidieux que les Autochtones — et souvent les femmes et les filles — subissent depuis des générations. La sénatrice McCallum nous a aidés à mieux comprendre les répercussions de cet événement sur Isabella, et elle nous a fait connaître la nécessité de sensibiliser, d’écouter respectueusement et de faire des efforts plus importants envers une vraie réconciliation.

Permettez-moi d’ajouter quelques observations personnelles.

Agnes Woodward, membre de la Première Nation de Kawacatoose, en Saskatchewan, confectionne de magnifiques jupes à rubans, et sa description de leur objectif ne les rend que plus poignantes et plus puissantes :

La jupe est avant tout une question de représentation, c’est‑à‑dire de la façon dont les femmes autochtones choisissent de se représenter [...] cela est particulièrement important aujourd’hui, car on les a réduites au silence.

(1720)

Les jupes à rubans sont traditionnellement portées par les femmes et les filles lors de cérémonies autochtones, mais elles peuvent aussi avoir une valeur symbolique, par exemple pour sensibiliser la population à la situation des femmes et des filles autochtones disparues ou assassinées.

Abigail Echo-Hawk, une chercheuse en santé publique, issue de la nation pawnee, a confectionné une robe à rubans à partir de housses mortuaires pour attirer l’attention sur les effets disproportionnés de la COVID dans les collectivités autochtones. Elle y a brodé son mantra personnel, « Je suis la manifestation physique de la résilience de mes ancêtres », pour souligner ses liens avec le passé et l’avenir. Mme Echo-Hawk dit qu’elle coud animée par un sentiment d’amour :

Chaque ruban est une prière. Chaque point est une prière et un message d’amour et de dévouement à ces personnes. Pendant qu’on coud, il ne faut pas puiser dans la colère ni dans l’amertume.

Mme Woodward a fait les manchettes en juin 2021 lors de la cérémonie d’assermentation de la secrétaire à l’Intérieur des États-Unis Deb Haaland, la première personne autochtone à occuper ce poste. Elle a porté une magnifique jupe de Mme Woodward, qui est ornée de tiges de maïs, d’étoiles et de papillons et qui a eu droit à une couverture médiatique.

Honorables sénateurs, une telle situation aurait pu être un exemple typique de dénigrement des aptitudes d’une femme en commentant ce qu’elle portait, mais ce n’est pas ce qui s’est passé. Cette jupe a attiré l’attention, et le message en est devenu un de pouvoir et de valeur.

Mme Woodward a ajouté ce qui suit :

Aujourd’hui, la jupe à rubans me rappelle que j’ai un pouvoir et que j’ai la responsabilité d’enseigner aux futures générations qu’elles ont leur place ici et qu’elles ont le droit de se tailler la place qu’elles désirent [...] L’idée est d’exorciser la honte qui m’a affligée toute ma jeunesse.

La sénatrice McCallum a parlé avec grandes éloquence et sagesse du concept d’« espaces sécuritaires », c’est-à-dire l’idée de créer des lieux sûrs où les personnes, en particulier les jeunes, peuvent grandir, apprendre, poser des questions et analyser des sujets importants d’une manière éducative et favorable.

La Journée nationale de la jupe à rubans est un exemple de ce genre d’espace sécuritaire étant donné que le but est de célébrer l’identité, l’autonomie, la dignité recouvrée et la représentation ainsi que de remettre en question les façons dépassées de voir les choses, de défier les stéréotypes et les préjudices profondément ancrés, de se réconcilier et de retourner à nos valeurs.

Dans un article publié dans Girlhood Studies : An Interdisciplinary Journal, Kari Dawn Wuttunee de la nation crie Red Pheasant et de l’Association des femmes autochtones du Canada, Jennifer Altenberg, enseignante de la langue mitchif en Saskatchewan, et Sarah Flicker, de l’Université York, ont étudié la jupe à rubans en tant que manifestation d’une résurgence culturelle. Elles ont constaté que l’acte de confectionner une jupe à rubans crée un lien intergénérationnel entre les femmes autochtones, mobilisant les jeunes et les moins jeunes afin de reconquérir les enseignements, de résister à la violence coloniale et fondée sur le sexe, et de réimaginer leur avenir collectif. Apprendre sur l’importance historique et culturelle de la jupe à rubans renforce le lien entre les filles ainsi que leur lien avec leur culture et leur communauté. Porter la jupe à rubans est devenu un acte de résistance, de résilience et d’autodétermination incarnées.

Ces constats renvoient directement au concept d’espaces sécuritaires positifs dont les jeunes ont besoin et qu’ils méritent. Il est important que ces espaces ne se limitent pas aux personnes qui s’identifient traditionnellement à la jupe à rubans. Ils peuvent englober toutes les personnes qui cherchent à revaloriser leur identité et leur fierté culturelle au moyen de costumes traditionnels, de coutumes et d’autres traditions.

La jupe à rubans est un symbole poignant de l’effacement du passé, du racisme et des attitudes coloniales. C’est un symbole intersectionnel de la façon dont la race, le sexe et l’égalité ont été pervertis par les moyens coloniaux de discrimination. Elle peut être un catalyseur de changement.

À présent, au Kamsack Comprehensive Institute, l’école où Isabella Kulak a été humiliée pour avoir porté sa jupe à rubans lors d’une journée de tenues habillées, on célèbre maintenant la Journée de la jupe à rubans le 4 janvier. Cette année, plus de 100 élèves et membres du personnel ont porté des jupes, dont beaucoup ont été fabriquées à l’école dans le cadre des tout nouveaux cours de fabrication de jupes, de perlage et de tambours qui ont été introduits pour répondre positivement à l’appel d’Isabella à la réconciliation, à la sensibilisation et à la guérison.

Honorables sénateurs, beaucoup d’entre nous terminent leurs discours par un « merci » en plusieurs langues, y compris meegwetch, mais souvent, la sénatrice McCallum dit — tout comme l’a dit aujourd’hui la sénatrice Pate — chi-meegwetch. Un jour, la sénatrice McCallum m’a expliqué que cela signifie « merci », mais avec un sens supplémentaire qui est à peu près le suivant : merci, avec l’intention de faire avancer les choses dans le bon sens.

La sénatrice McCallum nous a demandé de nous joindre à elle non seulement pour appuyer ce projet de loi, mais aussi pour soutenir la jeune Isabella et l’aider dans ses efforts pour promouvoir l’autonomie, l’identité, la dignité inhérente, l’affirmation positive de son identité culturelle et la réconciliation.

Au nom d’Isabella, et dans l’espoir que cette initiative contribue à bâtir un avenir aussi magnifique que ces jupes à rubans, je me permets de demander, avec votre appui, la mise aux voix de ce projet de loi. Chi-meegwetch.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Le vote!

Son Honneur la Présidente intérimaire : L’honorable sénatrice McCallum, avec l’appui de l’honorable sénatrice Pate, propose que le projet de loi soit lu pour la troisième fois.

Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée et le projet de loi, lu pour la troisième fois, est adopté.)

[Français]

Le Tarif des douanes

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Housakos, appuyée par l’honorable sénatrice Ataullahjan, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-204, Loi modifiant le Tarif des douanes (marchandises en provenance du Xinjiang).

L’honorable Julie Miville-Dechêne : Je prends la parole sur le projet de loi S-204, intitulé Loi modifiant le Tarif des douanes (marchandises en provenance du Xinjiang).

Ce projet de loi est parrainé par le sénateur Housakos et j’en suis la porte-parole. Je me suis portée volontaire, car le sénateur Housakos et moi avons tous deux, au même moment au début de la session, parlé dans cette Chambre de l’enjeu du travail forcé et des violations trop répandues des droits de la personne. Vingt-cinq millions d’êtres humains sont victimes du travail forcé partout dans le monde. Nous partageons donc cette grave préoccupation, mais nous avons choisi des moyens différents d’intervenir.

Par le biais du projet de loi S-211, j’ai proposé une approche générale et étapiste pour combattre l’esclavage moderne, en obligeant les entreprises qui font affaire au Canada à faire rapport sur les risques de travail forcé et de travail des enfants dans leurs chaînes d’approvisionnement. Le projet de loi S-211 ne cible aucune région du monde en particulier, bien que l’on sache que le travail forcé et le travail des enfants sont particulièrement répandus en Afrique et en Asie. Cela dit, aucun pays du continent n’y échappe complètement, et nous avons eu des cas troublants de travail forcé au Canada, notamment en agriculture et en hôtellerie, et même parmi les préposés aux bénéficiaires sans papiers qui travaillaient au Québec pendant la pandémie.

Le sénateur Housakos a choisi une autre approche, plus ciblée et plus draconienne : son projet de loi prévoit une interdiction totale d’entrée au Canada de toutes les marchandises produites en totalité ou en partie dans la région du Xinjiang, en Chine.

Je suis d’accord avec mon collègue sur l’extrême sévérité des violations des droits de la personne contre le peuple ouïghour, violations qui ont d’ailleurs été qualifiées de « génocide », notamment par la Chambre des communes du Canada et celle du Royaume-Uni, de même que par le Parlement européen, le secrétaire d’État américain et le président des États-Unis, Joe Biden. Je partage cette évaluation.

[Traduction]

D’ailleurs, le traitement que le régime autoritaire de la Chine réserve à la minorité musulmane ouïghoure devrait inquiéter les gens de partout dans le monde qui croient aux droits de la personne. Comme Joanna Chi l’écrit dans son excellent livre intitulé China Unbound: A New World Disorder :

Si l’on se fie à la façon dont elle traite les Ouïghours, la Chine est disposée à criminaliser les pratiques religieuses [...] à torturer et à harceler les prisonniers des camps, à agresser sexuellement les détenus et à harceler illégalement les Ouïghours du monde entier. Pourtant, la communauté internationale s’est montrée lente à réagir à cette crise humanitaire grandissante, soulevant ainsi la question troublante de ce avec quoi le Parti communiste chinois pourrait s’en tirer à l’avenir.

(1730)

Outre l’assimilation et les camps de détention, il existe quantité de preuves que de nombreux Ouïghours sont soumis aux travaux forcés. Il est difficile de quantifier la situation, étant donné que l’on interdit aux journalistes et aux experts de ces questions d’accéder aux installations au Xinjiang. Il faut donc se fier à d’autres sources pour obtenir un ordre de grandeur.

Selon un rapport publié par l’Australian Strategic Policy Institute, plus de 80 000 Ouïghours ont été transférés à l’extérieur de la région du Xinjiang entre 2017 et 2019 pour travailler dans des usines chinoises. Bien que la Chine prétende qu’ils font ce travail volontairement, de nombreuses preuves indiquent que leur liberté de mouvement est très limitée et qu’ils sont constamment sous surveillance extrême, leur famille étant menacée et risquant la détention.

[Français]

De grandes marques que nous connaissons très bien ont été soupçonnées d’avoir des liens avec le travail forcé des Ouïghours dans leurs chaînes d’approvisionnement. La liste des produits suspects comprend notamment le coton, les tomates, les produits à base de tomates et le polysilicium. Ces produits comportent un haut risque de contamination au travail forcé dans la région du Xinjiang. En effet, près de la moitié du polysilicium, un matériel utilisé pour fabriquer les panneaux solaires, et près de 20 % de la production mondiale de coton proviennent de cette région.

Malheureusement, nous tous, consommateurs canadiens, contribuons à cette exploitation. Les vêtements de coton « faits en Chine » sont omniprésents dans nos étalages, et ce coton a de fortes chances d’avoir été cueilli au Xinjiang, où plus d’un demi-million de Ouïghours travailleraient contre leur gré. Les grandes bannières comme Uniqlo, Walmart, Zara et Sports Experts restent muettes quand on leur demande des comptes.

Autre constat alarmant, les tomates et les produits à base de tomates risquent fort de se retrouver sur nos étagères, selon une enquête de l’émission Marketplace, de la CBC. Les consommateurs ne sont pas en mesure de faire un choix éclairé quant aux produits à base de tomates qu’ils achètent dans les épiceries. Des marques aussi connues que Nestlé, Del Monte et Unilever achètent des tomates au Xinjiang et les font transformer dans des pays tiers, comme le Pakistan, les Philippines et l’Inde, avant de les revendre.

D’autres situations dans le monde sont tout aussi scandaleuses, que ce soit le travail des enfants dans les mines à ciel ouvert, dans le cacao ou la canne à sucre, mais il est vrai que ces différentes formes d’exploitation ne sont pas systématiquement organisées par les États. Bien que les gouvernements soient souvent passifs ou complices face à ces situations, l’exploitation des Ouïghours est carrément orchestrée par les autorités chinoises.

Voilà la raison de l’initiative du sénateur Housakos, contenue dans un projet de loi très court qui tient en une phrase :

[...] l’importation de marchandises fabriquées ou produites, en tout ou en partie, dans la Région autonome ouïghoure du Xinjiang de la République populaire de Chine est interdite.

Ce projet de loi est certainement né d’une frustration, que j’éprouve également, qui est de constater que nos propres agents frontaliers n’appliquent pas la loi actuellement en vigueur, une loi qui interdit déjà l’entrée au Canada de marchandises provenant du travail forcé de n’importe quel pays du monde.

Cet amendement à notre Loi sur le tarif des douanes découle de l’Accord de libre-échange Canada—États-Unis—Mexique, et il est en vigueur depuis 22 mois. Or, jusqu’à maintenant, le Canada a saisi une seule — je dis bien une seule — cargaison de vêtements en provenance de la Chine, dont on soupçonnait qu’elle était issue du travail forcé. À titre de comparaison, durant la même période, les États-Unis ont intercepté plus de 1 300 cargaisons suspectes provenant de la Chine.

Selon les experts consultés par le Globe and Mail, le Canada n’a pas investi suffisamment de budget et d’efforts pour appliquer cette loi; c’est pareil pour ce qui est de la récolte de renseignements pour effectuer des saisies.

Là où le projet de loi S-204 se distingue, par rapport à la loi actuelle, c’est qu’il ne propose pas de saisir uniquement les cargaisons contenant potentiellement des marchandises issues du travail forcé, mais toutes les cargaisons provenant d’une région, le Xinjiang, en présumant d’emblée que ces marchandises sont susceptibles d’être issues du travail forcé.

Il est vrai qu’il est très difficile de faire la part des choses pour un agent frontalier. Aucun indice visible ne permet d’identifier des marchandises issues du travail forcé. Si la loi est éventuellement adoptée, il faudra aussi s’assurer que des entreprises — chinoises ou non — ne la contournent pas en faisant transiter leurs produits par d’autres pays intermédiaires.

Ce qui est notable dans le projet de loi S-204, c’est que l’importateur n’a aucun moyen de défense pour prouver que la cargaison saisie n’est pas issue du travail forcé.

Or, une telle interdiction semble, a priori, contraire aux règles de l’Organisation mondiale du commerce, qui prévoient une obligation de non-discrimination et une interdiction de restrictions quantitatives.

On pourrait toujours justifier l’existence du projet de loi S-204 en invoquant l’article 20 du GATT, qui permet des exceptions quand elles sont nécessaires, par exemple, pour assurer la protection de la santé et de la vie des personnes, pour protéger la moralité publique, ou quand les exceptions se rapportent aux articles fabriqués en prison.

En effet, le projet de loi S-204 prévoit une interdiction totale de tous les produits provenant du Xinjiang, et il pourrait être difficile d’invoquer les exceptions. Dans ce cas, ce serait le Canada qui, devant les instances de l’OMC, devrait prouver que l’interdiction n’est pas arbitraire et ne constitue pas une discrimination injustifiable.

Un seul pays a, jusqu’à maintenant, agi dans le même sens que ce que le projet de loi S-204 propose. Aux États-Unis, la Uyghur Forced Labor Prevention Act a été adoptée à l’unanimité au Sénat et la loi sera applicable aux frontières américaines dès juin prochain. La loi américaine prévoit une présomption d’interdiction de tous les biens produits en tout ou en partie dans la région du Xinjiang. La loi précise aussi que des entreprises situées ailleurs en Chine pourront figurer sur une liste noire si elles profitent du travail forcé des Ouïghours. Toutefois, contrairement au projet de loi S-204, les importateurs aux États-Unis peuvent réfuter cette présomption en démontrant, à l’appui d’une preuve claire et convaincante, que leurs usines et celles de leurs fournisseurs n’utilisent pas de travail forcé. Si le projet de loi S-204 comportait une telle soupape, il serait sans doute plus susceptible d’être jugé conforme aux règles de l’OMC.

Le projet de loi américain a suscité de vifs débats entre les multinationales dépendantes de la Chine pour leurs approvisionnements, les législateurs qui veulent que les États-Unis agissent plus fermement dans la défense des droits de la personne et ceux qui s’inquiètent d’abord des perturbations dans les chaînes d’approvisionnement et de l’inflation. Heureusement, les tenants de la justice et de la dignité des personnes l’ont emporté — pour une fois — contre les défenseurs de la compétitivité commerciale et des bas prix, à tout prix.

L’organisme Human Rights Watch appuie la loi américaine et considère qu’elle représente un nouvel outil puissant dans la lutte contre le travail forcé. L’ONG recommande, par ailleurs, que des conséquences sérieuses soient prévues pour les entreprises qui n’arrivent pas à fournir des informations transparentes sur leurs chaînes d’approvisionnement et sur le travail forcé en Chine.

Par ailleurs, d’autres pays cherchent des moyens d’agir à leur frontière contre l’esclavage moderne.

En Australie, un projet de loi d’initiative sénatoriale présenté en 2020 visait à interdire l’importation de toute marchandise produite dans le Xinjiang, à l’image du projet de loi S-204. Cette initiative australienne n’a pas fait consensus, car elle visait une seule région du monde. Une nouvelle mouture qui est à l’étude actuellement prévoit maintenant l’interdiction d’entrée en Australie de toute marchandise provenant du travail forcé, quelle que soit sa provenance.

À la fin d’avril, le gouvernement britannique, de son côté, a adopté un amendement pour s’assurer que les chaînes d’approvisionnement du réseau de la santé ne contiennent pas de travail forcé.

En conclusion, je suis d’avis qu’il faut renvoyer le projet de loi S-204 en comité afin de l’étudier et de le modifier, si nécessaire, pour éviter qu’il soit bloqué par nos engagements en matière de commerce international.

J’ajouterais toutefois que, parallèlement, il faudra aussi réfléchir à la place que nous voulons donner aux critères sociaux et environnementaux dans nos accords de commerce. Pendant des décennies — et encore aujourd’hui —, les impératifs économiques de croissance, de compétitivité et de bas prix l’ont souvent emporté sur les enjeux de dignité humaine et de développement durable. Les considérations écologiques et éthiques, qui incluent évidemment les violations révoltantes des droits de la personne en Chine, ne devraient jamais être de nature partisane ou idéologique. Il faut donc trouver des moyens efficaces de lutter pour le progrès. Nous ne pouvons pas rester passifs. Merci.

(1740)

L’honorable Leo Housakos : Je vous remercie pour votre discours. Je suis très ouvert à l’idée de renvoyer ce projet de loi à un comité comme le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international. Je suis tout à fait ouvert à trouver une solution pour cette terrible situation. Vous l’avez bien exprimé dans votre discours : la situation au Xinjiang exige des mesures draconiennes et il est triste de constater que, l’année dernière, cette Chambre a décidé de ne pas reconnaître la réalité du génocide au Xinjiang. Pire encore, il est triste de voir que notre gouvernement n’accepte pas cette réalité.

Êtes-vous d’accord pour dire qu’il est maintenant temps de réagir le plus vite possible, comme pays et comme gouvernement?

La sénatrice Miville-Dechêne : Ce n’est évidemment pas tout à fait l’objet de votre projet de loi, sénateur Housakos, mais en effet, je fais partie de ceux qui considèrent qu’en politique étrangère, on doit réagir aux violations des droits de la personne, que ce soit en Chine ou ailleurs. Je ne pense pas qu’il faille purement viser un pays à cause de son régime, mais je crois à l’interventionnisme quand il a trait à des questions graves comme la violation des droits de la personne.

Je fais partie des Québécoises qui ont appuyé l’intervention en Afghanistan. C’est un débat qui a beaucoup divisé le Québec. Beaucoup de pacifistes disaient non et moi, je disais oui. Il fallait intervenir au nom des femmes afghanes. De façon générale, je suis quelqu’un qui prône l’intervention et, étant donné tout ce que l’on sait sur les sévices subis par les Ouïghours, il faut parler fort, surtout maintenant que nos deux otages ne sont plus en Chine. Bien sûr, il y a aussi des intérêts canadiens. Je sais que tout cela est délicat, mais je fais partie des citoyens qui veulent que le Canada parle d’une voix forte envers la Chine.

(Sur la motion du sénateur Dean, le débat est ajourné.)

Projet de loi sur la protection des établissements d’enseignement postsecondaire contre la faillite

Deuxième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Moncion, appuyée par l’honorable sénateur Dean, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-215, Loi concernant des mesures visant la stabilité financière des établissements d’enseignement postsecondaire.

L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) : Honorables sénateurs et sénatrices, je prends la parole aujourd’hui sur le projet de loi S-215, Loi concernant des mesures visant la stabilité financière des établissements d’enseignement postsecondaire. Tout d’abord, permettez-moi de remercier la sénatrice Moncion, qui a présenté ce projet de loi. Un système d’éducation postsecondaire dynamique et de premier plan au Canada est vital pour l’avenir de notre pays, pour notre productivité, pour notre compétitivité internationale, pour la santé de notre société et pour assurer la réussite et le bien-être de nos jeunes.

[Traduction]

Même si l’objet du projet de loi — assurer la stabilité financière des établissements d’enseignement postsecondaire — est certes louable, l’accomplissement de cet objet pourrait être une autre histoire. Le projet de loi demande au ministre, en consultation avec les établissements — les administrations municipales, les gouvernements provinciaux, ainsi que les les groupes et associations représentant les professeurs, les employés et les étudiants —, d’élaborer une proposition pour la prise d’initiatives fédérales visant à réduire le risque qu’un établissement fasse faillite ou devienne insolvable; à protéger les étudiants, les professeurs et les employés si un établissement faisait faillite ou devenait insolvable et à appuyer les communautés qui seraient touchées si un établissement faisait faillite ou devenait insolvable.

Vous ne serez pas surpris d’apprendre — surtout parce que la marraine du projet de loi l’a mentionné en détail dans son intervention — que la situation à l’Université Laurentienne de Sudbury, en Ontario, est directement à l’origine de ce projet de loi.

En février dernier, cette université s’est mise à l’abri de ses créanciers en invoquant la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies. C’était la première entité canadienne financée par l’État à agir ainsi. Ce faisant, elle a renvoyé 100 professeurs, sabré dans 69 programmes et, comme un observateur l’a signalé, « […] abandonné complètement le mandat triculturel dont elle était fière en réduisant de manière disproportionnée les programmes offerts aux francophones et aux Autochtones. »

Comme le Bureau de la vérificatrice générale de l’Ontario l’a signalé dans son rapport sur l’Université Laurentienne :

Jusqu’au dépôt de la demande de la Laurentienne [...], le processus de la LACC avait été utilisé exclusivement dans le secteur privé. Toutefois, aucune restriction dans la loi ne limite son utilisation dans un établissement du secteur parapublic financé par l’État.

Comme l’a souligné la vérificatrice générale de l’Ontario, l’Université Laurentienne est l’une des principales institutions postsecondaires du Nord de l’Ontario. Elle est au service de trois cultures, celles des communautés francophones, anglophones et autochtones. C’est aussi une institution bilingue. En outre, elle est l’un des plus importants employeurs de Sudbury. Par conséquent, comme l’a fait remarquer la sénatrice Moncion dans son discours, les problèmes d’insolvabilité de cette université sont terribles pour la collectivité, mais aussi pour les étudiants, dont 19 % sont francophones.

Nous pouvons tous convenir qu’il s’agit d’une tragédie pour la collectivité, les employés et les étudiants qui font partie de la communauté laurentienne.

Je pense que le projet de loi de la sénatrice Moncion soulève un important problème, mais je reste aussi convaincue que nous pourrions débattre de l’origine du problème que son projet de loi tente de régler, et probablement des solutions qu’elle propose.

En résumé, il serait trop simple d’attribuer ce problème au manque de soutien gouvernemental ou à sa réduction.

Commençons par le problème. Dans son discours, la sénatrice Moncion dit que le problème est entièrement imputable au gouvernement. Dans le cas de l’Université Laurentienne, il s’agit pour elle du gouvernement de l’Ontario :

Malgré l’émergence d’établissements pour les francophones administrés par des francophones, comme l’Université de Sudbury, qui jouit du soutien unanime de la collectivité, les gouvernements tardent à agir.

Elle poursuit en disant que par exemple, le gouvernement de l’Ontario :

[...] a mis plus d’un an à intervenir dans le dossier de l’Université Laurentienne, et il a fini par bouger uniquement parce qu’il n’avait plus le choix. L’université était en train de perdre son fonds de roulement, ce qui aurait précipité sa faillite. Le gouvernement de l’Ontario est demeuré les bras croisés durant un an.

Ailleurs dans son discours, elle a souligné qu’au cours des 20 dernières années, la part du financement du secteur postsecondaire provenant des gouvernements provinciaux a diminué, et que le financement fédéral stagne depuis environ 2008. En dollars réels, le financement des langues officielles et des programmes d’éducation n’a cessé de diminuer.

Je n’en doute pas, mais le nombre de francophones vivant à l’extérieur du Québec est également en baisse. Statistique Canada prévoit que si la tendance actuelle se maintient, le nombre de francophones vivant à l’extérieur du Québec passera de 4 % en 2011 à 3 % en 2036. Cette baisse aura également une incidence sur le financement, du moins dans certaines provinces. La raison en est que la formule de financement de l’enseignement postsecondaire varie d’une province à l’autre. En Ontario, en Saskatchewan et au Québec, le financement de base est lié au nombre d’inscriptions.

Comme l’indique l’étude de 2021 sur l’état de l’enseignement postsecondaire au Canada :

[...] le montant du financement qu’un établissement reçoit dépend principalement du nombre d’étudiants qu’il compte dans différents types de programmes [...]

Dans les sept autres provinces, le financement est en grande partie déterminé par le financement reçu par le passé, c’est-à-dire que le financement de base que reçoit un établissement d’enseignement pour une année donnée dépend en grande partie de ce qu’il a reçu l’année précédente [...]

(1750)

Cela n’enlève rien à l’argument que la sénatrice Moncion fait valoir avec son projet de loi : la nécessité d’un financement stable. Cela illustre toutefois à quel point la situation est compliquée, surtout lorsqu’on sait que l’éducation est du ressort exclusif de chaque province, comme nous le savons tous.

Nous tombons également dans les questions de compétence. Bien qu’il y ait des similitudes entre les systèmes d’éducation de chaque province et territoire, il existe aussi de nombreuses différences entre les lois, les politiques et les programmes, sans parler de la géographie, de l’histoire, de la langue, de la culture et des besoins particuliers de la population de chaque province.

Je répète que cela n’enlève rien au projet de loi de la sénatrice Moncion. Au contraire, il se peut que ce fait le renforce. Cependant, cela laisse également entendre que la voie à suivre n’est peut-être pas simple.

Je soupçonne qu’une initiative du gouvernement fédéral dans ce domaine pourrait initialement être perçue avec méfiance par les provinces et les territoires qui — une fois que le gouvernement fédéral engagé dans cette voie — pourraient fort bien vouloir, à tout le moins, ajouter leurs propres questions à l’ordre du jour en fonction des problèmes que je viens d’indiquer.

En terminant, j’aimerais dire quelques mots au sujet de l’université Laurentienne. Comme je l’ai déjà dit, la sénatrice Moncion n’a pas pris de temps à pointer du doigt la réaction lente et timide du gouvernement de l’Ontario devant la grave situation financière de l’université. C’est peut-être vrai, mais la situation en question n’était pas si claire et nette, du moins selon ce que j’ai lu.

Le site University World News, par exemple, a rapporté que l’Université Laurentienne avait un problème de mauvaise gestion chronique depuis des années lorsqu’elle a cherché à se mettre à l’abri de ses créanciers. De plus, comme l’a indiqué un ancien professeur de l’université, « cela faisait vraiment longtemps que l’université ne faisait preuve d’aucune transparence au sujet de ses finances. C’était comme si elle criait au loup ». L’université a accumulé une dette de 322 millions de dollars à cause de cette mauvaise gestion.

De plus, elle n’a pas aidé sa cause dans toute cette affaire. Par exemple, selon le même article d’University World News, l’Université Laurentienne a demandé un prêt de 100 millions de dollars au gouvernement en mai 2021. En retour, ce dernier a exigé qu’un examen indépendant des finances de l’université soit effectué par un tiers. L’université a refusé. Cet entêtement se poursuit encore aujourd’hui.

Le Comité des comptes publics de la province a demandé au Bureau de la vérificatrice générale de l’Ontario d’examiner les finances de l’université, et son rapport est loin d’être flatteur. Après avoir fait remarquer que, compte tenu de l’importance du financement provincial dont elle bénéficie, on serait en droit de s’attendre à ce que l’université fasse preuve de transparence et se montre responsable, la vérificatrice générale a déclaré ceci :

Malheureusement, la Laurentienne a refusé à notre Bureau l’accès à l’information que nous jugeons absolument nécessaire à l’exécution de nos travaux d’audit […] Dans de nombreux cas, elle a également refusé de fournir des renseignements non protégés par le secret professionnel au motif qu’il faudrait trop de ressources pour examiner les documents afin de déterminer si l’information est assujettie au secret […] Une restriction aussi répandue de notre travail d’audit est sans précédent.

Qui plus est, le rapport indique que l’Université Laurentienne a créé une culture de la peur au sein du personnel universitaire concernant les interactions avec le Bureau de la vérificatrice générale.

Je considère que l’Université Laurentienne n’est pas le meilleur exemple pour faire valoir un projet de loi comme celui-ci. Cependant, comme je l’ai mentionné plus tôt, je crains que certaines personnes soient agacées par les questions de compétence qu’un projet de loi comme celui-ci risque de soulever.

[Français]

Honorables sénateurs et sénatrices, je ne remets pas en question la situation financière difficile dans laquelle se trouvent nos universités, surtout depuis les deux dernières années, en raison de la pandémie et de la baisse des inscriptions d’étudiants étrangers. Je suis favorable à l’idée de renvoyer ce projet de loi à un comité où il pourra faire l’objet d’une étude approfondie. Merci.

Des voix : Bravo!

Son Honneur la Présidente intérimaire : Sénatrice Moncion, avez-vous une question?

[Traduction]

L’honorable Lucie Moncion : J’aurais quelques questions pour vous.

Je vous remercie pour votre excellent discours. Les renseignements présentés l’ont été après le début de mes interventions au sujet du projet de loi S-215.

Le problème que pose la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, c’est que lorsqu’on y a recours, l’argent va généralement aux grands créanciers et il ne reste rien pour les petits créanciers à la fin, après la liquidation des actifs si on se rend jusque-là.

La situation est la même que celle qui s’est produite à l’Université Nipissing, dans ma région. J’ai siégé à son conseil d’administration avant 2010.

Voici ma question. Les déficits de l’Université Laurentienne étaient exactement comme ceux de l’Université Nipissing. L’Université Nipissing s’est adressée au gouvernement; l’Université Laurentienne l’a fait aussi, mais à la dernière minute, et le gouvernement n’a donc pas eu le temps de réagir. Un mois plus tard, l’Université Laurentienne invoquait la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies.

Je voulais savoir si vous étiez au courant de cette situation, car il en est question dans le rapport que vous avez lu. Êtes-vous d’accord avec moi pour dire que lorsqu’il s’agit d’une entité provinciale et qu’on applique une loi fédérale, il pourrait y avoir un problème constitutionnel, comme vous le mentionnez? Mais quelqu’un doit payer au bout du compte et je pense qu’en l’occurrence, ce sont les petits créanciers qui paient la facture. Je soulève de nombreux points, mais j’aimerais vous entendre sur ces quelques questions.

La sénatrice Martin : Je vous remercie de ces informations additionnelles. À vrai dire, je ne suis pas spécialiste dans aucun des domaines, mais je suis consciente de l’importance des établissements et des circonstances.

Vous avez raison de dire que cela semble injuste. Le fait est que, s’il y avait eu un financement plus important à tous les niveaux, la situation ne se serait pas produite. Merci de fournir ces renseignements supplémentaires au Sénat.

La sénatrice Moncion : Convenez-vous qu’il pourrait être problématique d’utiliser une loi fédérale pour corriger un problème provincial? Les problèmes de champs de compétence sont un sujet que mon bureau étudie. Êtes-vous d’accord?

La sénatrice Martin : Oui, je conviens que ces facteurs compliquent les choses, mais c’est pour cela que je propose de renvoyer le projet de loi au comité. J’espère qu’au cours du processus, nous pourrons aussi mettre en lumière l’importance de ces établissements, comme vous nous en avez clairement fait la démonstration. Je suis d’accord avec vous là-dessus.

(Sur la motion du sénateur Smith, le débat est ajourné.)

(À 18 heures, conformément à l’ordre adopté par le Sénat le 5 mai 2022, le Sénat s’ajourne jusqu’à 14 heures demain.)

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